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Le bon bilan d’Obama

Alors que les midterms approchent et que tous les médias continuent de prévoir une immense défaite démocrate, la blogosphère de gauche refuse de tomber dans le piège du pessimisme.

Le blogueur Andrew Sprung essaie ainsi sur son site d’élever le débat au-dessus des aléas quotidiens de la campagne et de prendre un peu de recul sur les 18 mois de la présidence Obama. Il arrive alors à une conclusion plus que positive : “In fact, at this beleaguered moment I believe that Obama is inevitably being judged on the wrong time scale. The economy is not growing fast enough, and that's killing him. [Dans des circonstances terribles, je crois que l’on ne juge pas Obama sur la bonne échelle de temps. L’économie ne croît pas assez vite, et c'est cela qui le tue]. But as to the larger, slower battleships he's trying to turn : the record (sticking for now to the domestic front) is mixed but impressive. He has laid foundations for universal healthcare and healthcare cost control ; educational improvement; and a reversal or at least slowing of the 30-year rise in income inequality (via healthcare reform, student loan reform, middle class tax cuts and tax hikes for the wealthy, the latter a work in progress). The stimulus also seeded a host of investments in infrastructure and alternative energy (as well as education) that will also take a long time to assess. With a little bit of economic luck, he will be the transformative president that he aims to be [Mais si l’on regarde les immenses cuirassés qu’il est en train d’essayer de manoeuvrer, le bilan – sur le plan intérieur – est varié mais impressionnant. Il a posé les fondations pour la couverture santé universelle et pour maîtriser les coûts de l’assurance maladie ; il a amélioré l’éducation, et il a au moins ralenti le rythme auquel l’écart se creuse depuis 30 ans entre les hauts et les bas revenus, grâce aux réformes de la santé, des prêts étudiants, des baisses d’impôts pour les classes moyennes et sa tentative d’augmenter les impôts des plus riches. Le stimulus va aussi permettre pas mal d’investissements dans les infrastructures et les nouvelles énergies (ainsi que dans l’éducation), ce qui prendra un long moment à évaluer. Mais avec un peu de chance sur le front de l’économie, Obama sera bien le président de la transformation.]”

Sur le site de Mother Jones, Kevin Drum veut lui aussi convaincre ses lecteurs que, malgré l’ambiance maussade à gauche actuellement, il ne faut pas perdre de vue qu’Obama a déjà accompli de grandes choses. Il base également sa démonstration sur les effets du stimulus qui avait injecté près d’un milliard de dollars d’argent public dans l’économie américaine en février 2009 : “According to CBO reports, the stimulus has created 3.5 million jobs and kept unemployment about 1 to 2 percent lower than it otherwise would have been, and apparently it's accomplished this efficiently and with minimal waste. It's a testament to what happens when you take good policy seriously [D’après le CBO – Congressional Budget Office – le stimulus a permis la création de 3,5 millions d’emplois et grâce à lui, le taux de chômage est de 1 à 2% plus bas qu’il ne l’aurait été s’il n’y avait pas eu de stimulus. Et il semble que tout ça s’est fait de manière très efficace et avec un minimum de gaspillage. Cela montre ce qui se passe quand le gouvernement prend son travail au sérieux]. Unfortunately, it's also a testament to how little most people care about good policy and competent execution. As near as I can tell, it's practically conventional wisdom these days that the stimulus package was a complete bust—and all because the Obama administration initially made a lousy projection about the future course of the recession and suggested that the stimulus package would reduce unemployment to 8 percent. If their forecast of the depth of the recession had been correct and they'd predicted, say, 11.5 percent unemployment without a stimulus package and 10 percent with it—which is what happened—elite opinion about the stimulus would probably be completely different [Malheureusement, cela prouve aussi que les gens se fichent bien que les mesures soient bonnes et le gouvernement compétent. D’après ce que je vois, c’est devenu un lieu commun aujourd’hui de dire que le stimulus a été un désastre complet – et tout ça parce que l’administration Obama avait initialement annoncé une projection complètement erronée sur la suite de la récession en suggérant que le stimulus réduirait le chômage à un niveau de 8%. S’ils avaient plutôt dit ‘on aura un chômage à 11,5% sans stimulus et 10% avec’ – ce qui s’est passé dans la réalité – alors l’opinion générale sur le stimulus serait complètement différente].” Certes, l’on sent ici des regrets par rapport à l’erreur originelle des projections d’Obama, mais il est aussi évident que Drum blâme plus les médias et le public pour la situation actuelle que le président lui-même.

Au-delà de la méthode Coué

L’espoir et le ton positif des blogueurs libéraux ne doivent pas être uniquement vus – et raillés ? – comme relevant de la méthode Coué. Conscients qu’en demandant à leurs lecteurs d’être fiers du bilan d’Obama, ils prennent le risque d’apparaître comme des partisans aveuglés, les blogueurs libéraux essaient de présenter les preuves qui justifient leur sursaut d’optimisme.

Le plus influent blogueur de gauche, Markos Moulitsas, rappelle sur le site The Hillque les Démocrates doivent assumer pleinement leurs idées et les défendre dans cette campagne. Pas seulement pour tomber dignement, mais parce que ces idées, contrairement à ce qu’avance sans relâche la propagande républicaine, demeurent extrêmement populaires dans le pays : “Immigration reform is wildly popular — polls consistently show support for reform near the 80s… Despite the broad and deep support across the country, Democrats did nothing, paralyzed with fear that Republicans would run nasty ads accusing them of “amnesty.” They’ll do that anyway. [La réforme de l’immigration est très populaire, avec un taux de soutien dans les sondages de près de 80%. Mais malgré ces chiffres, les Démocrates n’ont rien fait, paralysés par la peur que les Républicains, en cas de réforme, ne fassent des pubs à la télé les accusant d’amnistie. Ce que les Républicains vont faire de toute façon.]

When debating the healthcare reform bill, Democrats immediately took single-payer off the table, despite 58 percent favoring it. Yet Democrats did nothing… afraid of the ads Republicans would run (and are running anyway) accusing them of a “government takeover" of healthcare [Pendant le débat sur la réforme de la santé, les Démocrates ont immédiatement renoncé à un système de sécu à l’anglaise ou à la canadienne, bien que 58% des Américains souhaitassent un tel système. Et pourtant, les Démocrates n’ont rien fait, apeurés à l’idée que les Républicains ne diffusent des pubs qui les accusent d’avoir mis le gouvernement à la tête de tout le système de santé – des pubs que les Républicains diffusent de toute façon].

How about more stimulative spending ? In a USA Today/Gallup Poll … sixty percent favored a new stimulus package and 38 opposed it. Democrats did nothing, paralyzed with fear that Republicans would run nasty ads accusing them of deficit spending. They’re doing that anyway [Et sur le stimulus? Un sondage USA Today/Gallup montre que 60% des Américains veulent un nouveau stimulus, avec 38% qui sont contre. Et bien les Démocrates n’ont rien fait, paralysés à l’idée que les Républicains ne diffusent des pubs hostiles qui les accusent de creuser le déficit. Ce que les Républicains sont en train de faire de toute façon.]

And finally, there’s the matter of George W. Bush’s budget-busting tax cuts, which Republicans desperately want to maintain for their millionaire benefactors. The most recent poll … found that 79 percent favor extending the tax cuts for those making under $250,000, while 53 percent oppose doing so for those making above that number. Yet Democrats are doing nothing to craft a new tax-cut package for middle-class Americans before the election, paralyzed with fear that Republicans will run nasty ads accusing them of raising taxes (on the rich). Republicans are running those ads anyway [Enfin, il y a la question des baisses d’impôts de Bush, que les Républicains veulent absolument poursuivre pour plaire à leurs donateurs milliardaires. Dans le plus récent sondage sur la question, 79% des gens sont favorables à la poursuite des baisses d’impôts seulement pour les contribuables qui gagnent moins de 250 000 dollars par an, alors que 53% sont défavorables à une baisse d'impôts pour ceux qui gagnent plus que ça. Et bien les Démocrates n’ont rien fait pour faire une réforme fiscale avant les élections, paralysés par l’idée que les Républicains ne diffusent des pubs critiques qui les accusent d’augmenter les impôts. Mais les Républicains diffusent ces pubs de toute façon].

Assuming big Republican gains this November, the media narrative will claim Democrats overreached and governed too liberally. Yet actual progressive policies polled well and continue to poll well. If anything, it’s been failure to act on popular legislation that helped put them in this hole [Si les Républicains gagnent en novembre, les médias expliqueront que c’est parce que les Démocrates ont gouverné trop à gauche. Mais en réalité, les politiques de gauche sont populaires. En fait, c’est parce que les Démocrates n’ont pas été assez agressifs sur ces politiques-là qu’ils sont dans le trou où ils se trouvent aujourd’hui].”

Les tensions entre la Maison Blanche et la blogosphère

On sent donc poindre une situation bien paradoxale dans la blogosphère libérale. D’un côté, l’envie d’être satisfait des avancées non-négligeables permises par Obama, et de l’autre, la rage qu’il n’en ait pas fait plus, alors qu’il avait en mains toutes les cartes pour réussir.

Ces tensions ont été bien illustrées la semaine dernière par un couac entre le vice-président Joe Biden et certains blogueurs libéraux. Dans une interview à la télé, Biden a demandé à la base du parti démocrate d’arrêter de se plaindre (“Stop whining”). Sur le site Crooks and Liars, Susie Madrak n’a pas du tout apprécié ce ton moralisateur et hautain, ce qui a provoqué ce cri du coeur outragé : “I'm not sure how we turned out to be the targets, but it looks like we're officially on notice. No more complaining about frivolities ! [Je ne sais pas comment c’est arrivé, mais on dirait qu’on nous a officiellement mis en garde. Il faut qu’on arrête de se plaindre pour des bagatelles !] The people still without jobs ? Quit yer whining. The ones on food stamps? You, too. Your house is being foreclosed on ? What a buncha whiners. Shut yer piehole ! Those of you living in your cars ? Be grateful you still have cars! Sleeping on your friend's couch ? Beats a cardboard box, don't it ? You can't afford to see a doctor ? You'll be able to do that in 2014. … And they actually wonder why the base isn't motivated. [Les gens encore au chômage ? Arrêtez de vous plaindre ! Les gens qui n’ont pas de quoi manger ? Taisez-vous aussi. Vous êtes en train de perdre votre maison ? Vous n’êtes que des pleurnichards. Vous en êtes réduit à vivre dans votre voiture ? Soyez heureux d’avoir encore une voiture ! Vous dormez sur le canapé de vos amis ? C’est mieux qu’un carton dans la rue, non ? Vous pouvez pas vous payer un docteur ? La réforme de la santé vous permettra de le faire en 2014… Et ils se demandent pourquoi la base n’est pas motivée].”

Ainsi, même si à l’approche d’une probable victoire républicaine, la blogosphère de gauche essaie de se rassurer autant que possible, on reste encore très loin d’une relation apaisée entre cette avant-garde libérale et la Maison Blanche d’Obama