Son immense renommée avait fait oublier la Malibran. Pauline fut plus célèbre que sa soeur et plus longtemps. Aurait-il fallu qu'elle mourût en pleine gloire à 28 ans pour que la postérité lui conservât une notoriété sans pareille ? Je veux raconter la femme et l'immense artiste qu'elle était, la passion de la musique qu'elle m'a transmise... Louise Viardot

A l’approche du centenaire de la mort de Pauline Viardot (1821-1910), la multiplication des ouvrages qui lui sont consacrés témoigne d’un regain d’intérêt pour l’immense artiste qu’elle fut. L’an dernier, Patrick Barbier a fait paraître une biographie (Pauline Viardot, Grasset), Michèle Friang a précédemment accordé un soin particulier à la correspondance de la musicienne (Pauline Viardot, au miroir de sa correspondance, Herman, 2008) tandis que Thérèse Marix-Spire a permis la parution des Lettres inédites de George Sand et de Pauline Viardot (aux Nouvelles Editions Latines, 2008). En 2007, Michael Steen a inauguré cette série de publications (Enchantress of Nations. Pauline Viardot : Soprano, Muse and Lover, Icon Books) consacrées à la vie, à la carrière et au rôle de cette artiste d’exception. Avec Vous êtes mes racines et ma couronne (ZurfluH  éditeur), Agnès Gerhards renouvelle avec pertinence l’approche biographique habituelle en se fondant sur les Mémoires de Louise Héritte-Viardot (1841-1918), fille aînée de la cantatrice à laquelle elle laisse le soin de raconter l’histoire familiale. La fidélité d’Agnès Gerhards à l’exactitude des événements qui rythment l’histoire des Viardot et l’histoire tout court (toute référence a été scrupuleusement vérifiée) s’accompagne d’une fine analyse des sentiments qui par le prisme des souvenirs personnels laisse entrevoir les liens qui unissent la célèbre soprano à ses proches et notamment à sa fille Louise. Cette immersion dans l’intimité suppose une reconstitution des ressentis et des enjeux affectifs qui unissent une mère à une fille ayant grandi dans l’ombre de sa célébrité.
Au méticuleux tableau de la sphère intime s’en ajoute un autre, celui, plus ou moins connu, de la brillante carrière de Pauline Viardot. Agnès Gerhards aide à prendre conscience non seulement des raisons qui  poussent ses contemporains à la considérer comme l’une des plus talentueuses chanteuses et musiciennes de son époque mais aussi de la pertinence à l’envisager a posteriori comme l’une des plus importantes figures de l’histoire du chant lyrique. La superposition entre les dimensions personnelle et professionnelle suppose d’en comprendre les interactions, ce à quoi l’auteur parvient parfaitement, montrant de Pauline Viardot qu’elle fut l’un des centres d’intérêt majeurs non seulement de la vie artistique européenne mais aussi d’un entourage familial où surgissent de très nombreuses figures du monde des arts et de la littérature. Point de convergence des talents qui se reconnaissent en elle, Pauline est une intime de George Sand qui lui fait rencontrer Frédéric Chopin. Aimée par Alfred de Musset qui la fréquente dans le salon de Caroline Jaubert, Pauline commence sa carrière à l’âge de 17 ans, c'est-à-dire très tôt comme le veut l’usage au XIXe siècle. Franz Liszt, son professeur de piano, entretient avec elle une sincère amitié ainsi que Camille Saint-Saëns qui lui dédie son plus célèbre opéra Samson et Dalila. Capable de chanter en voix de soprano et de contralto, Pauline est aidée dans sa carrière par Meyerbeer, elle qui s’avère capable de jouer plusieurs rôles dans un même ouvrage et de les apprendre en un temps record. Après dix années d’efforts passées entre autres à subir la concurrence de la Grisi, elle finit par triompher dans Le Prophète qui obtient un immense succès. Désormais incontournable, Pauline Viardot encourage les efforts de Charles Gounod au début de sa carrière de compositeur, fréquente Wagner, Rossini, Verdi, Delacroix, Ary Scheffer et se lie intimement pour des décennies avec Ivan Tourgueniev. Elle s’assure la collaboration de Berlioz dans l’adaptation d’Orphée au succès non démenti de 1859 à 1861. Elle attise la curiosité d’Henrich Heine, impressionne Flaubert et rejoint en 1863 l’outre-Rhin après un quart de siècle de carrière. Elle demeure un pôle d’aimantation de la vie mondaine et artistique, elle qui, accompagnée de Clara Schumann à Baden-Baden, excelle au piano, elle encore qui reçoit des souverains prussiens et étrangers dans un cadre privé dédié à la pratique de la musique. Toujours avec l’éternelle complicité de Tourgueniev, Pauline produit des opérettes et donne des représentations où transparaissent son opposition à Napoléon III et sa fidélité aux idéaux républicains. Bien qu’ayant œuvré en faveur d’une interculturalité franco-allemande, elle rejoint la France puis l’Angleterre consécutivement à la défaite de Sedan et à l’épisode de la Commune, ne pardonnant pas à l’Allemagne ses exigences de vainqueur au détriment de la France. Proche de Gambetta et de Grévy, Pauline poursuit ses récitals au Cirque d’Hiver sous la direction de Pasdeloup à l’âge de 54 ans. En 1889, elle fait don à la bibliothèque du Conservatoire de Paris du manuscrit du Don Giovanni de Mozart, espérant peut-être léguer à la postérité une trace que sa voix seule ne permet pas de laisser si ce n’est à travers l’évocation de ses capacités uniques et le regret de ne pas pouvoir nous en rendre compte nous-mêmes.
Extrêmement et rigoureusement informatif, l’ouvrage d’Agnès Gerhards fait entrevoir avec bien des nuances la difficulté à suivre l’exemple d’une mère glorifiée de son vivant. Elle joint aux éléments biographiques quelques clefs psychologiques bienvenues qui permettent de mettre en lumière la personnalité de Louise Héritte-Viardot dont la prometteuse carrière lyrique ne dura que quelques années.