Jean-Robert Pitte propose un "digest" de ses considérations sur la nature de la géographie aujourd'hui, question abyssale autant qu'ambitieuse.

Dans ce nouvel ouvrage, Jean-Robert Pitte propose un "digest"- 60 pages-  de ses considérations sur la nature de la géographie aujourd'hui, question abyssale autant qu'ambitieuse.

En quatre chapitres, ce Génie des Lieux entend démontrer l'intérêt d'aborder l'espace par le ressenti, l'attachement, "l'ineffable". Le territoire est porté à son paroxysme puisqu'il n'existe que parce qu'il révèle un enracinement à même de faire parler le lieu. Il s'agirait, selon Pitte, de rendre ses lettres de noblesse à une approche fondée sur "le mystère insondable des choses et des êtres".

Le deuxième chapitre, "révéler et interpréter le génie des lieux", enfonce le clou. Dénigrant une posture par trop scientiste, et par là, son chef de file, Roger Brunet, Pitte rappelle son opposition farouche aux tenants d'une géographie modélisatrice et systémique. Prônant pourtant "qu'il faut faire confiance à la science", Pitte s'éloigne rapidement de cette vision et adopte parfois un point de vue quasi-mystique sur l'espace. L'auteur entend donc se tenir à distance de toute opinion radicale.  De même, son aversion pour une écologie politique engagée ("certains gourous de l'écologie sectaire") le pousse à naviguer entre deux eaux, à adopter le discours consensuel déjà fortement médiatisé.

Condamnant les extrêmes, l'auteur propose une géographie du ressenti et invite à se laisser gagner par l'esprit des lieux. Or, certains en manquent cruellement, c'est le cas des "machines à habiter", pourvoyeuses de "bandes sauvageonnes". D'autres, au contraire, restent inaccessibles au profane faute de grille de lecture. Jean-Robert Pitte condamne ainsi, dans le troisième chapitre, la dé-spatialisation de notre société. Reprenant le lamento des enseignants affligés du peu de connaissances géographiques de leurs élèves, il s’offusque du mépris des édiles pour la discipline  mais cautionne la réforme qui supprime la géographie en terminale scientifique. Dès lors, M. Pitte défend avec vigueur un génie des lieux accessible à une élite initiée, celle qui connaîtra encore les départements et leurs préfectures, dont les parents auront été avisés de choisir l'option histoire-géographie pour le baccalauréat, celle qui, d'ailleurs, vit déjà dans des lieux où le génie se donne à voir plus aisément que dans les cités corbuséennes tant décriées par l'auteur. "Il n'est de richesse que d'Hommes, à condition qu'ils soient éduqués" affirme-t-il dans le dernier chapitre, ce qui confirme cette vision à deux vitesses de la géographie.

Jean-Robert Pitte présente ici une porte d'entrée intéressante sur une géographie de l'émotion, porte qui pêche par son manque d'accessibilité à ceux que le génie des lieux ne peut pas toucher. On regrettera enfin le choix d'un opus excessivement court, format qui semble peu adapté à la volonté de l'auteur de refonder la pratique géographique