Brillant et agaçant, charmeur et cinglant, Jacques Attali reste un personnage incontournable de la vie politique et intellectuelle française. Décryptage.

Brillant et agaçant, charmeur et cinglant, Jacques Attali reste un personnage incontournable de la vie politique et intellectuelle française de ces quarante dernières années. Conseiller spécial de François Mitterrand, fondateur de trois organisations internationales, auteur à succès de plusieurs dizaines d’ouvrages… Ce touche-à-tout inclassable se dissimule derrière un activisme de chaque instant. Il aime que tout le monde le regarde mais ne se dévoile que rarement. Qui est-il vraiment ?

 

En explorant La planète Attali, Frédérique Jourdaa débusque le personnage, à travers une multitude de témoignages qui racontent sa vie et décodent ses ressorts intimes. Et le livre est à la hauteur du sujet, offrant au lecteur une mosaïque des personnalités aussi disparates que prestigieuses : Jacques Delors, Erik Orsenna, Boutros Boutros-Ghali, Pascal Lamy, Joël de Rosnay, Hubert Védrine, Jean-Claude Trichet…

Au fil des pages, on découvre une personnalité ambivalente, un parcours complexe et une œuvre dense. Mais La planète Attali forme aussi un récit passionnant, à travers les souvenirs des grandes figures interrogées : les acteurs de l’Histoire se racontent eux-mêmes et transforment cette biographie d’un homme en un tableau de notre époque et de ses dirigeants.

 

Enfance et compagnonnage : des rues d’Alger aux couloirs de Dauphine

 

Puisqu’il paraît que les motivations profondes des adultes sont les fruits de leur enfance, Frédérique Jourdaa s’est intéressée de près à l’enfance de Jacques Attali, né en 1943 à Alger puis élevé à Paris. Sans s’attarder sur les détails des souvenirs familiaux   , les premières années de Jacques Attali sont marquées par la foi judaïque et le désir d’excellence insufflés par le père, mais aussi par le sentiment d’exil, provoqué par le départ d’Algérie : le début d’un nomadisme qui ne fera que s’amplifier avec les années.

Une fois la famille Attali installée à Paris, l’histoire est connue : lycée Janson-de-Sailly, Ecole polytechnique, IEP de Paris, ENA, doctorat d’Economie... Jacques Attali rivalise de bonnes notes avec son frère jumeau Bernard, qui deviendra plus tard PDG d’Air France et patron de la branche européenne du groupe Carlyle. Et malgré des trajectoires très différentes, les deux frères se parlent encore aujourd’hui presque tous les jours   .

En 1968, c’est un peu le début dans le grand monde : Jacques Attali est nommé maître de conférences d’économie à l’Ecole polytechnique et se fait repérer par l’université Paris-Dauphine. En 1973, Marc Guillaume, nouveau vice-président de Dauphine, créé l’Institut de recherche et d’information en sciences économiques (le célèbre IRIS) et propose à son ami Jacques, rencontré sur les bancs de l’X, de le rejoindre. Sept années de bonheur partagé, jusqu’en 1981, pendant lesquelles les chercheurs useront leur énergie et leur passion à constituer une doctrine économique pour la gauche, avec un pilier central qui tient en cinq mots : la lutte contre les inégalités   .

C’est aussi le commencement des voyages et des publications littéraires : sept ouvrages en sept ans, et ce n’est qu’un début ! En 1980, l’auteur fait une pause et contribue à la création d’Action internationale contre la Faim, mais il n’est jamais très loin d’un stylo : il publie Trois Mondes   en janvier 1981, aux prémices de la campagne présidentielle.

 

Le théâtre de la Mitterrandie : rivalités, jalousies et petits meurtres entre amis

 

En mai 1981, François Mitterrand devient président de la République, et appelle Jacques Attali auprès de lui. C’est là que commencent les mesquineries et les jalousies, et pour cause : le conseiller fraîchement nommé fait un caprice, il pleure devant le président pour obtenir un bureau attenant au sien et le titre de conseiller spécial   . Employer le moyen des larmes pour obtenir quelque chose est inattendu, mais quand on connaît la suite de l’histoire, on peut penser qu’il a eu raison de pleurer…

En tout cas, c’est bien à l’Elysée que Jacques Attali se forge de solides inimitiés, de Jean Glavany qui lui reproche de se gaver de privilèges   à Michel Charasse qui l’accuse d’avoir trahi François Mitterrand   . Malgré cela, même ses ennemis politiques reconnaissent son talent ; Hubert Védrine résume en disant que le personnage "est simultanément exceptionnel et insupportable"   . Mais la publication des Verbatim l’éloignera de beaucoup de monde : certains l’accuseront de tordre l’histoire pour son bénéfice, d’autres prétendront que Mitterrand étaient contre leur publication…   .

Car même à l’Elysée, Jacques Attali continue d’écrire. Il publie huit ouvrages entre 1982 et 1991, avant de quitter Paris pour Londres. Et ses livres ne passent pas inaperçus : on prétend qu’il n’écrit pas ses livres lui-même, on l’accuse de plagiat… La planète Attali n’élude pas la question et lève le voile : Frédérique Jourdaa propose un entretien avec Jane Auzenet, que Jacques Attali présente tout simplement comme "ma documentaliste"   et ne manque pas de remercier dans chacun de ses ouvrages. La méthode de travail de l’écrivain est ainsi livrée   et chacun jugera ; le débat est clos. Mais pas la polémique : en quittant l’Elysée, Jacques Attali débute une troisième vie qui ne sera pas exempte de remous…

 

Le blues du businessman : que restera-t-il de Jacques Attali ?

 

En 1991, Jacques Attali part pour Londres et devient président de la Berd, dont il est le fondateur. Maladroit et peu soutenu par les politiques anglo-saxons, il démissionnera deux ans plus tard suite aux pressions d’une campagne de presse calomnieuse. Indépendamment des erreurs de calcul et de gestion, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement est une réussite : elle a dégagé des bénéfices de 2,4 milliards d’euros de bénéfices en 2006 et 1,9 milliard en 2007, pour un montant d’investissements de 5,6 milliards. Mieux : en 2009, son budget est en augmentation de 20 % (soit 7 milliards d’euros) afin de renforcer son soutien des marchés de l’Est   .

Même si les résultats sont là, se faire chasser de la présidence d’une institution qu’on a soi-même créée reste un douloureux échec personnel, et Jacques Attali mettra du temps à s’en remettre. Mais il n’abdiquera pas pour autant ses ambitions universelles. Le 13 octobre 1998, il créé PlaNet Finance pour promouvoir le microcrédit et le rendre accessible partout dans le monde. Et "il y applique tous les préceptes que le cuisant échec de Londres lui a enseignés : prendre son temps, demeurer dans l’ombre, planter profond ses racines, verrouiller son territoire, former ses hommes, tracer sa piste"   . Ne comptant ni son temps ni son énergie, Jacques Attali déploie ses réseaux et son savoir-faire pour cette nouvelle organisation internationale, qui appuie aujourd’hui plus de 220 organisations de microfinance et dont 95 % de l’activité se fait dans les pays en voie de développement, pour 40 % en Afrique et au Moyen-Orient, pour 30 % en Asie et pour 30 % en Amérique latine   .

C’est que Jacques Attali ne peut se résoudre à disparaître. Il veut laisser sa trace, marquer son siècle (voire même ses siècles ?). Son travail acharné n’est pas une fuite en avant ni une pure quête de gloire immédiate : il veut laisser son empreinte et il ne veut pas qu’on l’oublie. Selon Alain Minc : "Il a tout à fait tort. […] Les touche-à-tout comme lui et moi ne restent pas"   . Et pourtant, Jacques Attali y croit, mais PlaNet Finance ne suffit pas. Effectivement touche-à-tout, il cherche la reconnaissance partout : il dirige des orchestres, donne des conférences, invente des pièces de théâtre, anime une émission de télévision   , préside des commissions d’experts, conseille les grands patrons... Et il continue à publier un à deux livres par an, pour expliquer sa vision du monde, et surtout sa vision de ce qu’il faut faire pour le rendre meilleur.

Car finalement, Jacques Attali a bien compris qu’il n’est pas un homme de pouvoir. Il est à l’image de Sir Siegmund Warburg, au sujet duquel il a écrit un livre unanimement salué : Un homme d’influence   .

 

Et pour conclure cette recension, restait à interroger le principal intéressé pour lui demander son opinion sur cette biographie (largement) autorisée. La réponse est sans équivoque : "C’est un livre remarquable, très honnête et très complet sur mon travail"   . Forcément…

 

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- Jacques Attali, Survivre aux crises, par Vincent Jacob.