Suite d’exemples traitant à la fois de football et de géopolitique à différentes échelles privilégiant l’échelle étatique qui est également l’échelle des équipes nationales. Pascal Boniface est très optimiste et amoureux du football, il essaye de voir tous les points positifs sans occulter les problèmes. Il manque juste des statistiques et des cartes permettant de mieux visualiser la diffusion mondiale de ce sport.

Le livre de Pascal Boniface, Football et mondialisation, est une réédition. La première version de cet ouvrage est parue en 2006 juste avant la Coupe du monde de football en Allemagne. Cette fois Pascal Boniface, réactualise son texte à l’occasion de la Coupe du monde de football qui débute en Afrique du Sud aujourd’hui. Ce n’est donc pas une simple réédition mais une véritable réactualisation car le livre passe grâce à ces rajouts de 173 à 223 pages.

Mais Pascal Boniface a su garder les exemples qui faisaient la richesse du premier opus comme l’équipe de football du FLN (Le Front de libération national algérien avait monté une équipe qui disputa 91 matchs entre 1958 et l’indépendance du pays, cette équipe fut un véritable ambassadeur politique), du Tibet, de Palestine mais aussi bien sûr du Brésil, de la Turquie sans oublier "la guerre du football" entre le Honduras et le Salvador. Il réactualise ses exemples avec par exemple des développements sur les nouvelles équipes nationales en lien avec l’émergence d’États, comme celles du Monténégro ou du Kosovo ou les affrontements footballistiques entre la Turquie et l’Arménie.

L’auteur a surtout une vision géopolitique ou même géostratégique du football. Il insiste beaucoup sur les tensions entre les Etats et leurs résolutions par le football. Ce sport est selon Pascal Boniface "le reflet de la société". Il en a donc une vision plutôt positive, ce qui change souvent des discours ambiants de certains médias qui critiquent facilement les débordements de ce sport. Pour autant il n’occulte en aucun cas les vrais problèmes sociétaux du football comme son racisme, abordé dans un dernier chapitre courageux.

Football et politique

De nombreux exemples traitent plus précisément des liens entre football et politique. L’exemple argentin de 1978 qui a vu les stades crier contre la dictature est encore une fois un bon exemple "du reflet de la société". Pascal Boniface n’hésite pas alors à plonger dans le football et la politique française. Il remarque habilement que "c’est donc dans le stade que l’on peut houspiller Nicolas Sarkozy, alors que c’est à peu près impossible partout ailleurs". Il suffit de se rappeler l’extraordinaire finale bretonne de la coupe de France, où des chants patriotiques et sincères de la Marseillaise mêlés à des milliers de drapeaux bretons côtoyaient les insultes aux Président de la République. L’auteur analyse également les problèmes des sifflets de jeunes Français pendant l’hymne national des matchs opposants l’équipe de France à l’Algérie ou à la Tunisie : "Ces sifflets ont été pénibles, mais aucune violence n’a été à déplorer". Mais pendant tout le match France-Tunisie, Hatem Ben Arfa a été abondamment sifflé à chaque fois qu’il touchait la balle bien qu’il soit d’origine tunisienne. Pascal Boniface temporise donc et ajoute que "ces sifflets ont malheureusement donné des arguments à tous ceux qui estiment que les maghrébins ne sont pas tout à fait des Français comme les autres". Ces jeunes voudraient, par ces sifflets, montrer leur malaise dans les cités et leurs difficultés à trouver un emploi. Ils sifflent la Marseillaise, symbole de la République qui les aurait abandonnés, et Hatem un des leurs qui a réussi dans le système du football. Finalement, ils aggravent leur situation politique en suscitant la colère de ceux qui prennent ces sifflets comme une insulte à leur pays.

Entre échelle nationale et échelle internationale

Pascal Boniface insiste beaucoup sur l’échelle nationale et les affrontements sportifs entre pays. Mais il n’oublie pas l’échelle inférieure à savoir les clubs, qui sont la base même de ce sport. En bon géopoliticien il analyse les tensions existantes entre les deux échelles : clubs et pays. Les clubs rechignent en effet de plus en plus à "prêter" leurs joueurs aux équipes nationales le temps des rencontres internationales. Les grands clubs se sont un moment fédérés dans un groupement appelé G14 – devenu G17 – qui est souvent rentré en conflit avec l’UEFA. Michel Platini en prenant la tête de l’UEFA a réussi à limiter l’influence de ce groupe et a même obtenu son abolition en créant une structure officielle plus large et intégrée dans l’UEFA, l’ECA (l’Association Européenne des Clubs) qui défend l’intérêt de 137 clubs des 53 fédérations rattachées à l’UEFA. Mais pour l’instant Michel Platini n’a pas réussi à limiter le football business… la lutte continue.

La "déterritorialisation du football"

Justement Pascal Boniface n’oublie pas l’échelle de l’individu et donc du joueur, sans qui nous ne lirions pas ce livre… Il insiste bien sûr sur l’arrêt Bosman de 1995, complété par l’arrêt Malaja de 2002. Ces deux arrêts de la Cour de justice des communautés européennes et du Conseil d’Etat vont complètement déréguler le football. Selon l’auteur, ils vont permettre "d’accélérer considérément la déterritorialisation du sport". Pour arriver au fameux match opposant Portsmouth à Arsenal le 30 décembre 2009 en Premier League anglaise où l’arbitre était le seul homme de nationalité anglaise au milieu de 22 joueurs étrangers avec leurs entraîneurs israélien et français !

Et c’est peut être là le petit manque du livre, en effet nous voudrions en savoir plus sur ces étrangers. Qui sont-ils ? De quelle nationalité ? A quel poste ? Le principal défaut du livre tient au fait qu’il n’y a pas de cartes et très peu de statistiques…

Voici une carte, comportant peut être quelques erreurs, car les sites Internet des clubs sont assez inégaux. Néanmoins, elle montre que la mondialisation du football est loin d’être complète. Effectivement des joueurs viennent bien d’Amérique latine et d’Afrique. Mais grâce à la carte on peut spatialiser et avoir une analyse plus fine notamment sur l’Afrique. C’est en effet le Sénégal et ses voisins (Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigeria et Cameron) qui envoient le plus de joueurs en France. La Tunisie et le Maroc sont également l’un des foyers importants pour les clubs français. On ne compte qu’un seul Kenyan et un seul Malgache. Mais l’Amérique du Nord et l’Asie n’envoient que deux joueurs chacune avec deux Etats-uniens et deux Coréens du Sud. La mondialisation des joueurs est donc encore incomplète. Cependant la même carte sur la Premier League anglaise montrerait certainement un nombre plus important de pays concernés.

Hervé Thery a quant à lui réalisé une carte montrant l’exportation des joueurs brésiliens en 2004, dans les différents pays du monde   . Sur cette carte on voit bien le lien Brésil / Portugal et plus généralement les liens européens. Quelle équipe européenne n’a pas "son" joueur brésilien ? Mais la géographie ici est différente : on atteste de la présence des joueurs brésiliens en Amérique, en Europe, au Moyen Orient et un début de leur diffusion en Asie (Japon, Corée du Sud, Chine, Indonésie…). Par contre, on observe très peu de joueurs brésiliens en Afrique et en Océanie. Les Brésiliens vont là où l’argent "coule à flot" dans le football. Les langues commencent à se délier et la face obscure de ces migrations nous est régulièrement décrite dans certains journaux (So Foot, Libération…).

Le football, un espace

Il ne faut pas uniquement quelques phrases introductives fort justes: "le football est le stade ultime de la mondialisation. Il n’est pas aujourd’hui de phénomène plus global". Il faut également montrer que "le monde du football est devenu un espace" pour paraphraser la définition de Jacques Lévy. Pascal Boniface aurait pu développer l’exemple des stades construits actuellement par la Chine dans de nombreux pays africains comme l’Angola (Ce que Joachim Barbier appelle "La diplomatie du stade national", So Foot, n°71, janvier 2010). L’auteur aurait pu insister sur les supporters à distance des grands clubs et à ce niveau les cartes réalisées par Boris Helleu dans un article de Ludovic Lestrelin et Jean-Charles Basson sont très révélatrices de cette mondialisation inégale   .

Néanmoins son livre se lit agréablement et montre bien l’importance de ce sport devenu mondial, comme nous allons le voir au cours du mois à venir… Pascal Boniface voit dans le football un rapprochement possible entre les hommes et pour cela milite pour une co-organisation du Mondial 2018 entre Israël et la Palestine. Il avait lancé un appel en ce sens avec Lilian Thuram en décembre 2007 (article paru dans La Croix)

 

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