S’il y a un point sur lequel l’ensemble des partenaires sociaux sont d’accord, c’est bien sur la nécessité d’une réforme du système des retraites. Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) rendu public aujourd’hui, donne des chiffres du déficit des caisses de retraites alarmants. Selon les projections, le besoin de financement annuel pourrait varier de 72 à 115 milliards d’euros en 2050. La cause est connue, répétée en boucle dans les médias : le vieillissement de la population – conjugaison explosive d’un allongement de la durée de vie et de l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom – crée un déséquilibre croissant entre le nombre d’actifs (ceux qui cotisent) et le nombre de retraités.
Le problème démographique est un fait incontestable. Emettons cependant l’hypothèse qu’il s’agit d’un prétexte – hypothèse fausse mais d’une grande valeur heuristique. Quelles seraient alors les raisons qui poussent la France à réformer son système de retraites ?
Un contexte européen
Tous les pays européens se sont engagés dans une réforme de leur système de retraites au tournant des années 1990 – "Réforme 1992" en Allemagne, Réforme Amato (1992) et Dini (1995) en Italie, Réforme Balladur des retraites du secteur privé (1993) et plan Juppé (1995). Ces réformes auraient été entreprises en fait, sous la pression conjuguée du marché commun européen et de la monnaie unique, d’après le politiste Bruno Palier .
En effet, le marché commun encourage une concurrence accrue entre les entreprises européennes, qui cherchent pour être compétitives à faire baisser le coût de la main-d’œuvre. L’augmentation des cotisations – et notamment des cotisations patronales –, solution utilisée depuis les années 1970 pour combler les déficits, est abandonnée, bannie et devient un sujet quasi-tabou. Par ailleurs, la création de l’euro s’accompagne des fameux "critères de Maastricht" et de l’obligation d’un maintien des déficits publics sous la barre des 3% du PIB. Les Etats européens s’engagent alors dans une série de réformes visant à faire baisser les dépenses publiques et notamment pour ce qui est des retraites, les pensions. Certaines de ces mesures sont visibles : la plupart des pays européens, à l’instar de l’Allemagne, choisissent de faire indexer les pensions sur les salaires nets (qui augmentent moins vite que les salaires bruts en raison du poids croissant des cotisations sociales) ou sur les prix, qui théoriquement augmentent peu si l’inflation est maitrisée.
D’autres moyens invisibles ont été utilisés pour faire baisser les pensions. L’allongement de la durée de cotisation, option choisie par le gouvernement actuel et soutenue par une partie de l’opposition, est à cet égard tout à fait éclairant : le décalage entre un marché du travail peu enclin à faire travailler les travailleurs âgés et l’obligation de cotiser de plus en plus longtemps conduit à l’impossibilité pour un nombre croissant de salariés d'obtenir une retraite à taux plein. Ceux qui le peuvent se tournent alors vers l’épargne individuelle, et ainsi, en toute discrétion, c’est le système par répartition qui est remis en cause.
Cette réforme des retraites ne repose pas que sur une raison démographique mais au moins autant sur des choix idéologiques – en l’occurrence, comme l’explique Bruno Palier, il s’agit dans le contexte européen de "politiques, d’inspiration monétaristes et néo-classiques [qui] reposent sur l’orthodoxie budgétaire et la limitation des dépenses publiques" . Ce sont ces choix politiques qui proscrivent depuis 20 ans en Europe, "la solution alternative pour faire face au défi démographique, à savoir relever progressivement le niveau des cotisations sociales" , d’après le chercheur au Cevipof.
L'inoxydable argument démographique
L’argument démographique comporte une part d’ombre, un fait économique tenace. Certes, les actifs sont de moins en moins nombreux. Mais la productivité est en constante augmentation depuis l’après-guerre, faisant de la France, un des pays les plus productifs au monde. De plus, cette productivité devrait encore doubler d’ici à 2040 en France. Autrement dit, avec moins d’actifs, on produit autant voire plus de richesse qu’avant. Où sont donc passés ces gains de productivité, cet accroissement de richesse qui devrait logiquement revenir aux salariés et permettre de financer les pensions de retraites ? Bruno Palier donne à cette question une réponse laconique : "Au cours des années 1980 et 1990, indique t-il, les gains de productivité ont surtout servi à augmenter la rémunération du capital, la part des salaires dans la valeur ajoutée ayant diminué de presque dix points en Europe." . Au-delà des aspects techniques d’un débat d’"experts", la réforme des retraites engage en fait un véritable choix de société qui ne peut se passer d'un débat dans la sphère publique. Or, selon un sondage réalisé par Harris pour RTL, 60% des Français seraient opposés à un report de l'âge légal de la retraite après 60 ans
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