Un mélange instable entre essai philosophique et fiches de cours qui ne remplit pas sa fonction : introduire à la philosophie morale.

La collection Licence Philo des Presses Universitaires de France propose des manuels de niveau premier cycle dont le but est de fournir une introduction à un domaine précis du champ philosophique. L’Introduction à l’Ethique de Jean-Cassien Billier a pour but, comme son nom l’indique, d’introduire à la philosophie morale, et plus particulièrement à l’éthique normative   .

Dès l’introduction, ce but est précisé, et on ne peut qu’applaudir l’auteur pour la tâche qu’il se fixe : introduire à la philosophie morale non par un catalogue historique des doctrines et des auteurs, mais en présentant les grands courants de la philosophie morale actuelle, ceux dont les philosophes moraux débattent aujourd’hui et maintenant. Ces trois grands courants sont : la déontologie, le conséquentialisme et l’éthique de la vertu. L’auteur prétend nous introduire à ces trois grands courants.

Une introduction au conséquentialisme ?

Néanmoins, comme l’auteur le reconnaît, la structure de l’ouvrage est inattendue : au lieu de se diviser en trois parties, une pour chaque grand courant, l’ouvrage se compose de deux parties. La première est entièrement consacrée au conséquentialisme, et principalement à sa variante la plus connue : l’utilitarisme, tandis que la seconde est supposée présenter les deux "autres", la déontologie et l’éthique des vertus, en les opposant au conséquentialisme. C’est là, déjà, l’un des points faibles de cette introduction : sur 240 pages, 164 sont consacrées au conséquentialisme et aux arguments anti-utilitaristes, 54 à la déontologie et seulement… 22 à l’éthique des vertus. Pour le coup, l’ouvrage aurait presque pu s’intituler "Introduction au Conséquentialisme".

Un essai ou des fiches ?

Même sans s’attarder sur ce point, la construction de l’ouvrage souffre d’un défaut majeur : à le lire, on a le sentiment de se trouver face à un monstre hybride, une fusion inachevée entre ce qui serait un essai de haut niveau contre le conséquentialisme et un ensemble de fiches très courtes sur des doctrines de philosophie morale.

En effet, la plus grande partie de la première partie (à l’exception du chapitre IV) ressemble moins à une introduction destinée à des premiers cycles qu’à un véritable essai original sur le conséquentialisme et ses objections. Ainsi, l’auteur cite et discute des recherches très récentes, comme Les Principes de l’Ethique de Ruwen Ogien et Christine Tappolet, et, dès la sixième page du tout premier chapitre, nous voilà en train de discuter leur "maître argument conséquentialiste", sans même qu’ait véritablement été précisé ce qu’est le conséquentialisme (ce sera l’objet du chapitre II). Tout au long de cette partie, les arguments sont souvent très techniques, et des notions sur lesquelles le novice de premier cycle pourrait bloquer sont survolées très rapidement. Ainsi, le célèbre argument dit de "la question ouverte", que nous devons à G. E. Moore, et qui a sa place dans n’importe quelle introduction à l’éthique, est traité par l’auteur en maximum une demi-page   .

À côté de ces morceaux trop peu introductifs se trouvent d’autres chapitres qui le sont "trop" et prennent la forme de fiches très rapides. Le quatrième chapitre de la première partie est ainsi un catalogue historique des doctrines utilitaristes (Bentham, Mill, Sidgwick, Moore), tandis que le chapitre consacré au "contractualisme moral" présente en 12 pages Rawls, Scanlon et Habermas. Certaines de ces fiches souffrent de trop de brieveté. Par exemple, la section sur Rawls présente les deux principes de justice que celui-ci défend sans expliquer pourquoi nous choisirions ces principes sous "voile d’ignorance", escamotant une composante essentielle du raisonnement de Rawls   .

Une non-introduction

Au final, l’élève de premier cycle (où le novice curieux de philosophie morale) ne trouvera pas son compte dans cette "introduction". La partie "essai" de l’ouvrage est trop complexe pour aider le débutant dans ses premiers pas en philosophie morale, tandis que la partie "fiches" sera souvent trop sommaire pour être utile. L’auteur semble avoir trop hésité entre l’essai et l’ouvrage pédagogique, et le résultat en est un ouvrage qui, sans être fondamentalement mauvais, ne remplit pas la fonction qui aurait dû être la sienne : introduire à la philosophie morale actuelle. Une véritable introduction à la philosophie morale en français reste donc à écrire