Philippe Morel, auteur de La communication d’entreprise (Vuibert) analyse la communication des grands groupes au regard de l’actualité.

Nonfiction.fr- Le 27 janvier dernier, Apple a lancé son Ipad choisissant de ne donner aucune information sur le produit jusqu’au jour de son lancement. Ce silence a alimenté des spéculations sur les caractéristiques du produit : certains voyaient la tablette sauver la presse, d’autres parlaient de révolution. Aujourd’hui, on a l’impression que le produit final n’est pas à la hauteur de l’attente créée par Apple. Est-ce que cette stratégie du silence profite à la firme de Steve Jobs ?

Philippe Morel- A très court terme, oui. mais à long terme certainement pas.

Nonfiction.fr- L’attente a été trop forte ?

Philippe Morel- La surprise, le suspense créent un mouvement. Mais si les publics ne sont pas « sécurisés », si on n’est pas en mesure de répondre au mouvement, l’effet positif de départ retombe. Cela donne le temps aux concurrents d’avoir une action offensive forte pouvant aller parfois jusqu’à des démarches de communication concurrentielle ouvertes. C’est le second effet d’un mouvement de surprise surévalué par rapport au produit.

Nonfiction.fr- L’objectif d’Apple n’est il pas, justement dans ce cas, de profiter d’une demande massive lors du lancement sans se préoccuper du long terme ?

Philippe Morel- Le raisonnement de base est celui là. Mais aujourd’hui, le marché est tellement encombré par des produits comparables que l’effet ne peut pas être bénéfique. Ceux qui se sont rués sur la nouveauté risquent des déconvenues. Une innovation plus performante va apparaître et couper l’herbe sous le pied du premier.

Nonfiction.fr- Le PDG du géant automobile japonais Toyota, Akio Toyota, a présenté, vendredi, des excuses publiques pour les défauts techniques qui ont entraîné des millions de rappels de véhicules. Le Figaro a  titré « le patron de Toyota implore le pardon ». D’après vous cette communication par l’empathie sert elle à l’entreprise ?

Philippe Morel- Non. La portée est valable pour le Japon et les Etats-Unis mais en Europe, non.

Nonfiction.fr- Pourquoi cette différence ?

Philippe Morel- Car les Etats-Unis et le Japon ont un état d’esprit plus réceptif au message jouant sur l’affect, la grandiloquence, l’émotion. En Europe, nous sommes plus terre à terre et plus critiques. Cet esprit critique nous conduit souvent à avoir des réactions réservées sur la sincérité des propos.

Nonfiction.fr- Le PDG de France Télécom passe le relais plus d'un an avant l'échéance à Stéphane Richard. Il a été fragilisé par la vague de 35 suicides en deux ans qu’a connu l’entreprise. Certains disent qu’il paye son manque de communication. Peut on attribuer cette succession d’événements, uniquement à un manque de communication comme certains le font valoir ?

Philippe Morel- Plusieurs éléments ont joué. Le climat interne a une forte influence. Le climat pâtit d’une pression de rentabilité et de productivité immédiate. L’aspect humain est oublié et négligé. Les relations internes n’existent pas. On ne donne pas la possibilité au personnel de s’exprimer, si ce n’est par les canaux des représentants sociaux, ce qui ne leur permet pas de se sentir pris en considération. Ils sont comme des pions anonymes. 
Il y a quelques années de cela, une direction centrale de la communication menait une politique d’image et institutionnelle avec beaucoup de communication média,  sur les rôles sociaux et économiques de l’entreprise. Mais lorsqu’on se rendait au siège, on se rendait compte, qu’un département  externalisé, concernant notamment tout ce qui était grand compte, n’était pas informé des objectifs de communication de l’entreprise. Alors même que ce secteur avait une mission de communication propre. Vous ajoutez à cela un découpage du secteur en 4 pôles complètement autonomes. Le résultat est sans appel : dans ces conditions, l’unité de message est impossible.

Nonfiction.fr- Est-ce qu’il s’agit d’un problème de communication interne ou externe ?

Philippe Morel- Avant tout, interne. Il y a une règle en communication : une entreprise qui a la volonté de communiquer largement, doit communiquer en interne. Le premier vecteur d’image d’une entreprise, ce sont les salariés.

Nonfiction.fr- D’une manière générale, peut on dire que la communication d’une grande entreprise en période de crise influe sur ses indices financiers ?

Philippe Morel- Cela dépend de la taille de l’entreprise et de son domaine d’intervention. Le cas Total est intéressant. Même après l’Erika, l’entreprise n’a pas changé . Elle a continué à vendre autant. Les indices financiers sont très bons. Cependant, pour la réputation, c’est autre chose. Elle est déplorable. Ils font des bénéfices sur des clients qui sont captifs. Total et les entreprises qui fournissent des biens de première nécessité le savent. Elles sont indispensables, L’image n’est qu’une préoccupation de second plan


* Philippe Morel, La communication d'entreprise, aux éditions Vuibert.

Propos receuillis par Julien Miro