Alors que les tensions entre Google et la Chine perdurent, Hillary Clinton semble avoir ajouté de l’huile sur le feu à l’occasion de son discours sur la liberté sur Internet, le jeudi 21 janvier. La secrétaire d’Etat américaine s’est prononcée contre toute forme de censure sur la Toile en louant les possibilités extraordinaires offertes par la révolution numérique. Elle a suggéré que ce potentiel ne pourrait être exploité qu’à condition de résister aux tentatives dispersées- en Tunisie, en Ouzbékistan, au Vietnam et… en Chine pour contrôler et censurer les flux d’informations sur le Web.  Evidemment, ce message visait directement les hackers chinois qui ont tenté de faire irruption sur les serveurs de Google, déclenchant ainsi l’ire du groupe américain   .


Hillary Clinton a donc opposé sur un ton offensif la tradition de liberté d’expression des Etats-Unis aux systèmes de censure des autocraties à travers le monde.  Elle a promis que l’Administration américaine ferait tout pour contourner la mise en place de restrictions et incité les entreprises américaines comme Yahoo et Google à en faire de même. De nombreux commentateurs, à commencer par Evgeny Morozov sur son blog Net Effect, sur Foreign Policy Passport, n’ont pas manqué de souligner les paradoxes et ambiguïtés d’un tel discours.

 

D’abord, en s’enfermant dans une rhétorique de la Guerre froide opposant deux espaces supposément hermétiques, celui des libertés défendues par les démocraties occidentales, et celui de la répression maintenue en place par les dictatures hostiles à la liberté, Hillary Clinton aurait négligé la diversité des usages d’Internet dans des pays comme l’Iran et la Chine. En effet, la  vision anachronique de Hillary Clinton de la censure exercée par ces systèmes dictatoriaux occulterait le fait que des pays également considérés comme autocratiques comme l’Egypte et la Russie ont très peu de mécanismes de censures per se. Elle n’a par exemple rien dit des nouvelles formes de répression qui accompagnent cette censure : la propagande, les attaques par déni de service (DDOS), la menace physique ciblée de certains militants...


De même, le message envoyé aux compagnies américaines pour qu'elles contribuent à cet effort de préservation des libertés  n’englobe pas tout le problème. Même si ces compagnies s’efforcent de lutter contre la censure dans les pays autocratiques qui abritent leurs serveurs, cela n’empêchera pas les compagnies locales de supprimer le contenu diffusé à la source- ce qui a lieu en Chine. Le discours de Hillary Clinton apparaît d’autant plus unilatéral que lorsqu’elle préconise la lutte contre le cyberterrorisme, elle oublie d’évoquer les nombreuses  attaques de hackers américains qui ont  tenté de s’introduire dans les sites du gouvernement iranien. Son point de vue sur l’anonymat sur Internet n'étit forcément plus précis. La secrétaire d'Etat n'a en effet pas tranché entre la défense de la propriété intellectuelle d’un côté et la protection des dissidents chinois et iraniens de l’autre : pour Evgeny Morozov, un choix s'impose entre ces deux options si l’on veut construire une vision globale et cohérente de l’Internet de demain. Il rappelle aussi qu’il serait utile de permettre aux compagnies américaines de haute technologie de travailler dans les pays autoritaires sur lesquels pèsent des embargos économiques imposés par les Etats-Unis eux-mêmes. Sinon, comment espérer que la liberté sur le Web fleurisse un jour dans ces pays ?


En somme, le discours de Hillary Clinton est apparu trop marqué par des considérations diplomatiques dans le contexte de la construction difficile d’une relation bilatérale sino-américaine. Ce discours a moins présenté une vision approfondie, cohérente et prospective de l’innovation numérique qu’un idéal de pérennisation d’Internet comme espace de liberté universel. On voit mal à l’heure actuelle comment ce "nouveau système nerveux planétaire" pourrait se concrétiser
 

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