Bel ouvrage que celui de Jennifer Lesieur, qui reprend les grandes lignes de la vie d'une poétesse devenue la grande prêtresse du punk.


Consciente de l'importance de la chose, la maison d'édition Le Castor Astral précise, non sans une légitime satisfaction, que Patti Smith est "la toute première biographie en français à lui être consacrée". Jusqu'ici, seuls deux livres américains s'étaient penchés sur le destin pourtant fascinant de cette artiste hors normes. Auréolée par les déclarations d'amour de fans prestigieux (Courtney Love, Sonic Youth, Siouxie et, bien sûr, PJ Harvey), Patti Smith est devenue au fil des années plus un nom prestigieux mais reste une artiste dont l'oeuvre est souvent méconnue du grand public.

À juste titre, car si l'oeuvre est cohérente sur l'ensemble d'une carrière dédiée à la poésie et aux refus des conventions (de la bourgeoisie mais aussi du rock!), elle n'en est pas moins opaque par sa chronologie quelque peu chaotique et son exigence formelle.

C'est en 1967 que Patti Smith débarque de sa banlieue de Philadelphie pour conquérir New-York. Elle a déjà un vécu important et fondateur : un accouchement sous X, la découverte des Rolling Stones et, surtout, d'Arthur Rimbaud. La Grosse Pomme sera révélatrice pour celle qui noircit déjà des pages et des pages de poèmes, et qui a déjà trouvé son style androgyne, à mi chemin entre le chic et le négligé.  Elle devient rapidement la maîtresse d'un des hommes de sa vie, le photographe Robert Mapplethorpe. Si leur relation amoureuse tourne court, leur amitié, elle, sera pérenne. Outre les très nombreux projets auxquels ils ont tous deux participé (pièces de théâtre, premiers concerts, etc), on retient aujourd'hui la superbe pochette de Horses (1975) réalisée par Mapplethorpe. Considérée comme la fille spirituelle de Kerouac, elle fait rire Bob Dylan... Elle rencontre aussi William Burroughs, Sam Shepard, Todd Rundgren, Tom Verlaine, leader du groupe Television dont le nom et la personnalité ne pouvait que plaire à la rimbaldienne Patti Smith. Elle monte un Patti Smith Group, qui connaît le succès que l'on sait, avec un premier album produit par John Cale   .

Évidente référence à Rimbaud, Radio Ethiopia sort en 1975. Au delà de la qualité des compositions, les textes de Patti sont non seulement dotés d'une grande force expressive, encourageant l'autre à se révéler à lui-même, mais aussi d'un réel pouvoir performant. Sur scène, Patti Smith se met dans tous ses états, plongeant le spectateur comme elle-même dans une transe fiévreuse et bouleversante. Inconsciente de ses limites, elle tombe un jour de 1977 lors d'un concert particulièrement effréné. Après une convalescence durant laquelle Patti Smith fait ce qu'elle préfère faire: dévorer tous les livres qui lui tombent sous la main, le mystique Easter sort en 1978, avec un tube: "Because the Night". 


Après l'album Wave, en 1979, Patti Smith annonce qu'elle arrête la musique, et part vivre à Detroit avec  Fred Sonic Smith, qu’elle épouse le 1er mars 1980. Ils auront deux enfants et couleront des longs jours heureux et sereins, vite perturbés par une série de deuils. D'abord celui de Mapplethorpe, mort en 1989 du SIDA. En 1995, c'est au tour de Fred Smith de succomber brutalement à une crise cardiaque. Si le choc est traumatisant, Patti Smith se relève. Elle a encore la force de chanter "People Have The Power", et de publier, irrégulièrement certes, albums et recueils de poésie. La fin des années 90 voit un vrai retour de flamme pour l'artiste qui s'expose même à la Fondation Cartier.

Loin de se réduire à un simple hommage biographique, le livre de Jennifer Lesieur s'avère, au contraire, comme le décryptage d'une personnalité complexe et, surtout, une incitation à la connaître d'avantage encore. Il s'agit ici de suivre un parcours, un cheminent existentiel fait de joies, de douleurs et de surprises, surtout - bonnes ou mauvaises. L'existence de celle qui est encore surnommé la grande prêtresse du punk - et qui a du moins fortement influencé le genre - s'avère loin d'être un long fleuve tranquille... Sans être pour autant complètement soumise aux aléas du destin. Car l'artiste sait ce qu'elle veut, à défaut de savoir exactement où aller. "Patti Smith a encore des choses à dire", conclut l'auteur.

Lucide et très documentée sur son sujet, Jennifer Lesieur souligne le narcissisme de Patti Smith mais surtout son talent atypique. L'écriture est ici aussi vivace que le mythe dont il est question, et fait de Patti Smith une première biographie en langue française plutôt réussie