Tous les journaux sont-ils utiles? Heribert Prantl, rédacteur en chef du service politique du Süddeutsche Zeitung, présentait récemment dans une conférence reprise par eurozine.com, la crise du journalisme comme le résultat de sa dénaturation. Selon lui, le marché a perverti une des plus puissantes forces créatives de la démocratie, les médias, qui avaient montré leur utilité en Allemagne depuis la première moitié du XIXè siècle.


Heribert Prantl voit dans la résistance de pionnier Philipp Jakob Siebenpfeiffer à la censure et dans la première manifestation de masse qu’il organisa au château de Hambach en 1832 la naissance de la démocratie allemande. La Cour Constitutionnelle Fédérale de Karlsruhe a su préserver cette tradition qui fit de la liberté de la presse le pain quotidien de la démocratie, en défendant une presse libre et pluraliste face à ses détracteurs à plusieurs reprises dans l’après-Seconde Guerre mondiale. De même, l’utilité de la télévision et de la radio publiques est reconnue puisqu'elles sont soutenues financièrement.


Cela doit-il amener l’Etat à concevoir des plans de relance pour les médias ? Loin s’en faut, dit Heribert Prantl, qui ne voudrait pas que les hommes politiques croient qu’ils peuvent non seulement nommer le directeur de la première chaîne d’information publique, comme dans le cas de ZDF, mais aussi s’arroger le choix du rédacteur en chef d’un journal d’opposition comme celui de tageszeitung. Car, à ses yeux, le journalisme n’est pas en crise au sens où on l’entend habituellement, mais souffre d’une sorte de douce mélancolie. Les journalistes deviennent tellement décadents qu’ils en viennent à se convaincre eux-mêmes et tout le monde autour d’eux que leur métier est condamné.

 

Même le philosophe Jurgen Habermas est allé jusqu’à demander que l’Etat finance les journaux. Cela est absurde pour Heribert Prantl. Il faut seulement admettre que les journaux ne font plus autant de profits qu’avant sans les enterrer vivants. Les réflexes de corporatisme et de repli sur soi des journalistes allemands, eux, pourraient véritablement mettre fin à un journalisme sérieux, curieux, perspicace et autocritique, et chasser les propriétaires de journaux fiers de l’être.


En effet, la cause principale de la crise des journaux aux Etats-Unis résiderait dans leur dépendance accrue vis-à-vis de leurs actionnaires et dans leur éloignement de leur lectorat. Le seul critère de réussite des journaux est devenu leur valeur sur le marché, au détriment de la qualité éditoriale. De surcroît, les blogs sont nés d’une réaction de résistance démocratique face à l’unanimisme pro-Bush qui a caractérisé ses années au pouvoir. C’est pourquoi Heribert Prantl juge aberrante l’opposition mécanique entre un bon journalisme classique sur papier et un mauvais journalisme trivial en ligne. Il y a du bon et du mauvais journalisme partout. Simplement, les journalistes font face à une plus grande exigence de savoir et de réflexion afin de transmettre une information quantitativement toujours plus importante.  Ils ont néanmoins les moyens de ne pas tourner le dos à la révolution numérique en cours.


Les journalistes allemands doivent donc se ressaisir, croire en leur métier, se référer aux grandes figures de la presse du passé, résister aux tentatives du marché et de la loi de mettre à mal la liberté et la confidentialité de leur travail. "Le travail des journalistes ne peut pas simplement être transféré aux bureaux de relations publiques, aux agences de publicité financées par des lobbies, et à des services de rédacteurs freelance", prévient Prantl.


Dans toute révolution de la communication, un nouveau média n’en chasse jamais un vieux. Il ne tient qu'à ce dernier d'accepter de cohabiter avec le premier.

 

* Heribert Prantl, "Sind Zeitungen systemrelevant. Journalismus zwischen Morgen und Grauen", eurozine.com, d'abord publié par Blätter für deutsche und internationale Politik.