Toutes les qualités d’un ouvrage de référence, et le défaut correspondant.

La prévention de la délinquance (puf), coécrit par deux professionnels issus de la police et de la politique de la ville, Richard Bousquet et Eric Lenoir, dresse un tableau détaillé de la naissance et de l’évolution des mesures de prévention de la délinquance depuis la fin des années 1970. Ce panorama précis et utile laisse néanmoins largement de côté les enjeux politiques et les débats de société qui les accompagnent.


Une rétrospective utile sur trente ans d’évolution

Si la prévention de la délinquance vise majoritairement les jeunes générations, elle est elle-même une politique qui approche de la trentaine. Ce constat justifie pleinement la mise en perspective historique à laquelle se livrent Richard Bousquet et Eric Lenoir, de son émergence à la fin des années 1970, en lien avec l’urbanisation, l’augmentation du taux de criminalité et le sentiment croissant d’insécurité de la population, jusqu’à sa consécration comme axe à part entière des politiques publiques de sécurité par la loi du 5 mars 2007.

Les premières pages sont l’occasion de rappeler la féconde distinction théorique entre deux conceptions de la prévention, découlant de deux systèmes philosophiques différents : l’une, liée à une approche rousseauiste, fonde le modèle français de prévention défini par le Rapport Bonnemaison de 1982, qui explique la délinquance par un déficit de sociabilité et cherche à y remédier en agissant sur les processus sociaux, par une approche globalisée qui peut s’étendre aux politiques socio-économiques et aux politiques de la jeunesse. Dans l’autre, d’inspiration anglo-saxonne, la responsabilité individuelle est première, et la réponse des autorités s’attache donc aux situations qui conduisent au passage à l’acte, en veillant à développer protection ou surveillance pour mieux dissuader les délinquants potentiels.

La suite de l’ouvrage montre cependant qu’un gommage progressif des spécificités s’opère, par un jeu d’influences réciproques entre prévention sociale et prévention dite situationnelle, qui préfigure peut-être un standard international en la matière.

Richard Bousquet et Eric Lenoir pointent au passage les faiblesses de cette politique, notamment la difficulté à mesurer le phénomène et la grande diversité des acteurs impliqués, même si une approche partenariale se dessine aujourd’hui associant collectivités territoriales, Etat, tissu associatif et secteur privé, renforcée par le cadre législatif qui donne désormais au maire des pouvoirs croissants dans le pilotage du dispositif et réserve un financement spécifique à cet effet   .

La partie consacrée aux acteurs permet ainsi de démêler l’écheveau de ces compétences multiples, tout en rendant compte de l’apparition de nouveaux métiers, médiateurs sociaux ou "référents sûreté" de la police et de la gendarmerie. Les encarts présentant des témoignages apportent un éclairage intéressant sur les difficultés quotidiennes de positionnement de ces nouveaux acteurs.

 

 

Laisser le lecteur sur sa faim, mais nourrir le débat

C’est justement parce que La prévention de la délinquance se veut un passage en revue, encore inédit en France, de l’ensemble des orientations, moyens et acteurs de cette nouvelle politique que sa densité peut décevoir un lecteur qui y chercherait une mise en débat de ses évolutions récentes les plus controversées telles que le développement des enquêtes de victimation, de la vidéoprotection ou des gated communities.

Si plusieurs rapprochements éclairants peuvent susciter des réflexions qui prolongent l’exposé factuel des mesures, par exemple dans le chapitre comparant la prévention dans la rue et la lutte contre la sécurité routière, la présentation prime souvent sur la problématisation.

Les pages consacrées aux comparaisons internationales illustrent cette tendance, liée certes à l’ouverture française encore embyonnaire aux initiatives européennes et internationales. L’échange de bonnes pratiques dans ce domaine n’en est qu’à ses débuts, et on comprend aisément que l’opération d’échange d’armes contre des bons d’achat dans des commerces, à Bogota, ne soit pas directement transposable dans notre pays et ne puisse être mentionnée qu’à titre d’exemple.
.

Dans l’ensemble, les regrets vis-à-vis d’un exposé qui en reste parfois au stade descriptif sont largement compensés par la précision et l’exhaustivité de la démarche de Richard Bousquet et Eric Lenoir. A défaut de débattre sur le vif de ces questions d’actualité, l’ouvrage nous livre l’arrière-plan à connaître et toute la matière nécessaire pour alimenter un débat serein et informé. C’est en restant dans ces limites qu’il peut légitimement prétendre devenir sur le sujet un ouvrage de référence