L'auteur, avocat d'affaires, propose de faire évoluer le statut juridique de la société de capitaux pour le rendre compatible avec la poursuite d'un but social.

Le social business est apparu, surtout à partir du prix Nobel de la paix de Muhammad Yunus en 2006, comme un moyen efficace pour réduire la pauvreté. La notion recouvre des entreprises à but social, qui sont organisées comme toute autre entreprise du secteur marchand et se proposent, en particulier, de faire des profits, non pas pour les partager entre les actionnaires, mais pour les réinvestir dans un but social. Or, ces entreprises ne disposent pas, aujourd’hui en France, de statut juridique bien adapté, explique Daniel Hurstel, qui fait avec ce livre des propositions pour y remédier.

De la coopérative…

Le début du livre fait trop de place à des considérations générales et au fondement parfois incertain sur la crise financière et les modifications de comportements que l’on peut en attendre. On entre ensuite dans le vif du sujet. L’auteur passe alors en revue les formes d’organisation juridique existantes dans l’économie sociale (associations, fondations et coopératives) et explique pourquoi celles-ci sont mal adaptées au social business, tel que défini ci-dessus. L’association, parce qu’elle privilégie un projet collectif, qui repose avant tout sur le don et le bénévolat. La fondation (qui naît d’une affectation irrévocable de biens à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général), en raison de son but non lucratif. La coopérative enfin (sous ses différentes variantes), parce qu’elle a pour finalité d’améliorer le sort de ses membres avec, en outre, en principe une contrainte de gestion démocratique. L’auteur en reste toutefois aux modèles idéaux que constituent ces formes, et on peut regretter qu’il ne détaille pas davantage les accommodements auxquels sont conduits les acteurs dans la pratique, et qui, au demeurant, ont parfois fini par trouver leur inscription dans la loi. Il en donne une explication s’agissant de la coopérative : “le statut de la coopérative a fait l’objet de tant d’adaptations spécifiques qu’il ne peut plus être appliqué de manière transversale à un domaine d’activité. Ce statut ne pourrait être adapté au social business qu’en rayant ce qui fait sa particularité”   . Mais si l’on pense que l’intérêt d’un statut pour l’entreprise sociale serait aussi de régler un certain nombre de problèmes qui se posent à l’économie sociale traditionnelle, il est dommage de ne pas s’y intéresser de plus près (d’autant que l’on retrouve ensuite cet argument sous la plume de l’auteur).

La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), apparue en France au début des années 2000 et qui se voulait mieux adaptée à la poursuite d’une finalité sociale, est pénalisée, explique Daniel Hurstel, par des règles trop complexes   . D’autres pays avaient précédé la France dans cette voie consistant à adapter le statut de la coopérative pour accueillir des entreprises à finalité sociale. Cela a, par exemple, été le cas de l’Italie et du Portugal dès les années 1990. Plus récemment, les mêmes ou d’autres pays se sont engagés dans la reconnaissance d’un statut d’entreprise sociale auquel peuvent prétendre les organisations indépendamment de leur forme juridique (coopérative, association ou société). C’est, par exemple, le cas de l’Italie ou encore de la Finlande. Mais ces dispositifs ne semblent avoir eu, jusqu’ici, qu’un succès mitigé.   .
 
À la société à but non lucratif

La deuxième partie du livre contient alors les propositions de l’auteur concernant le statut juridique des entreprises sociales. Elles sont au nombre de deux. La première constitue un préalable, elle consiste à modifier, plutôt que celui des associations, des fondations ou des coopératives, le statut des sociétés, en leur autorisant la poursuite d’un but social. Ce qui caractérise la forme juridique de la société aujourd’hui, c’est le partage des bénéfices   . Il conviendrait, explique l’auteur, de compléter cette définition en offrant aux fondateurs la possibilité d’opter pour l’une ou l’autre des branches de l’alternative : soit partager des bénéfices, soit financer ou développer une activité qui réponde à un besoin social. Hurstel fait alors de ce préalable un levier susceptible, à la faveur de la crise actuelle, d’infléchir de manière significative le cours du capitalisme. Passons. Plus intéressante est sa remarque concernant les perspectives de collaboration et sans doute d’hybridation qu’ouvrirait le dispositif entre le monde associatif ou coopératif et les entreprises traditionnelles   .

Mais quel contenu donner alors au statut d’entreprise sociale ? L’auteur mobilise à nouveau des exemples étrangers (qui font une part de l’intérêt du livre), issus de contextes très différents. La Belgique, par exemple, a ainsi rendu possible dès 1995 pour les fondateurs d’une société de déroger, s’ils le souhaitent, à la finalité du partage des bénéfices. La même loi a ensuite défini, de façon passablement restrictive, les critères à remplir pour obtenir le statut de société à finalité sociale, en cherchant à la fois à limiter les abus et à garantir le respect des principes d’inspiration sociale dans la lignée traditionnelle de la pensée sociale continentale   , tout en laissant ouvert le choix de la forme juridique. Finalement, “la société coopérative à responsabilité limitée est la forme la plus fréquemment utilisée pour user de l’option de société à finalité sociale.”   en Belgique. Et celle-ci a surtout été employée pour des activités de réinsertion. Le statut de société pour les organisations conduisant des projets de social business, adopté au Royaume-Uni en 2004 sous le nom de community interest company ou CIC, a a priori rencontré un plus grand succès. La CIC doit exercer son activité dans l’intérêt d’une collectivité (community) et non dans l’intérêt de ses membres ; elle doit respecter le principe de l’asset lock, qui vise à assurer que les actifs de la CIC (y compris tout profit et plus-value) soient essentiellement utilisés au bénéfice de la community que la société à pour objet de servir ; elle est en outre contrôlée par une autorité indépendante, le Regulator, nommé par le Secretary of State   . “La CIC présente de nombreux avantages. Tout d’abord, en tant que société, son fonctionnement est bien compris par le monde des affaires et elle est flexible en termes de structure d’actionnariat et de gouvernance. Ensuite, le principe de l’asset lock constitue une protection légale contre la distribution des actifs […]. Enfin, la CIC a une marque identifiable ; sa transparence est assurée par la publication du community interest statement et des community reports annuels.”   , explique l’auteur. Enfin, les États du Vermont et du Michigan ont récemment créé la low-profit limited liability company (L3C) comme une société dont le but premier n’est pas de réaliser des bénéfices mais de poursuivre un but social. Celle-ci est principalement conçue pour permettre à des fondations (ou autre donateurs exemptés) de réaliser des investissements à but social (sous forme de program related investments) plutôt que de simples dons, sans perdre leur exemption fiscale.

L’auteur en vient alors à sa deuxième proposition, soit de mettre en place une structure optionnelle adaptée à l’environnement français : la société d’intérêt social (SIS) pour les sociétés dont les associés ont fait le choix de répondre à un besoin social et qui ont opté pour le label correspondant   . Le sigle précéderait celui de la forme de société adoptée, qui définirait également la forme de gouvernance. L’auteur reprend ensuite l’essentiel des principes de la CIC britannique ci-dessus : rapport de gestion attestant de manière précise et convaincante que l’activité et la gestion de la société sont cohérents avec le choix de statut et donc le but social, et restriction à la distribution des bénéfices et des réserves visant à garantir l’affectation de ceux-ci au but social et non à l’enrichissement des associés (ce qui pourrait permettre, explique l’auteur, d’autoriser, dans certaines limites, le bénévolat ou le mécénat de compétences). Le bénéfice d’une SIS n’étant pas voué à être distribué mais réinvesti dans un but social doit-il être taxé ?, se demande encore l’auteur. À l’État d’en décider. En revanche, il semble indispensable, si l’on veut obtenir quelques résultats, que celui-ci se préoccupe de faciliter l’accès aux financements des entreprises sociales et de favoriser la promotion du statut.

Si tout cela n’était pas noyé dans une réflexion trop courte sur les moyens et les manières de réformer le capitalisme en aidant l’homme à se replacer au centre de ses projets   , dont le titre porte aussi la marque, l’intérêt du livre aurait sans doute été plus grand encore. Pouvoir utiliser la forme de société dans le cadre de la poursuite d’un but social répondrait en effet à un vrai besoin (ou à de vrais besoins)