Un livre intéressant qui tente de retracer l’histoire des Evangiles sans pour autant masquer les zones d’ombre qui entourent la naissance des textes.

Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire et universitaire, est professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris. Dans son dernier ouvrage intitulé L’histoire des Evangiles, il se propose de retracer l’histoire de la transmission des textes fondateurs du christianisme en s’intéressant particulièrement à leurs origines (de Jésus à leur rédaction).

Une très brève introduction nous rappelle tout d’abord que les évangiles officiels ont été rédigés  "plusieurs dizaines d’années après les faits",  et que ces textes, en définitive, apportent peu d’informations sur la vie elle-même de Jésus (depuis sa naissance jusqu’au début de son ministère notamment).

Le premier chapitre, entièrement consacré à la source des récits évangéliques, essaie de cerner au plus près l’acte fondateur de ces histoires. Il semblerait ainsi que le point d’ancrage se situe en 28, lorsque Jésus, quittant son village de Nazareth et sa famille, rejoint Jean Baptiste avant de commencer lui-même une tournée de prédication. "Un groupe d’hommes s’est attaché à lui, qui accorde de l’importance à ses paroles et à ses gestes.  L’histoire des évangiles est commencée",  nous dit l’auteur. Que Jésus se soit au début rapproché de la prédication de Jean Baptiste, c’est ce que les quatre évangiles soulignent. Il importe ici de comprendre pourquoi l’enseignement de Jésus, à un moment donné, a pu paraître plus important et plus complet que celui du Baptiste aux yeux de certains disciples. Comprenons que le fils de Marie,  s’il annonce lui aussi la fin des temps, centre son discours sur l’imminence du Règne de Dieu. Or, c’est précisément cette "Bonne Nouvelle" qui constituera la pierre angulaire des premiers textes chrétiens appelés "évangiles"   . Mais ces récits, avant de prendre une forme écrite, germeront dans la mémoire des témoins et seront transmis  oralement à la génération suivante   . Se dégage déjà à l’époque une trame narrative assez précise : la prédication de Jean Baptiste au Jourdain, la venue de Jésus auprès du Baptiste, le début de sa prédication, accompagnée des premiers miracles.

Le second chapitre du livre s’intéresse à l’élaboration des récits. Si les croyants de la première génération chrétienne, persuadés de vivre les derniers moments du monde, ne sentirent pas le besoin de  mettre par écrit les récits, l’attente, toujours plus longue, de la venue du Royaume de Dieu, et la conversion, toujours plus importante, des païens,   poussèrent l’Eglise, dans ses premières années d’existence, à se référer à Jésus lui-même, à sa vie, à ses gestes, à ses paroles. L’auteur nous montre ainsi que l’élaboration des récits évangéliques se trouve intimement liée au développement de l’Eglise. N’oublions pas que les premiers chrétiens furent des juifs et qu’à ce titre, ils étaient imprégnés d’une tradition littéraire mettant en scène les gestes et paroles des héros bibliques.   Il paraît ainsi tout à fait légitime que, dans le cadre de la prière et du culte chrétien, les évangiles, avant d’exister comme œuvres littéraires, se soient présentés comme "une mosaïque de petites unités orales"  assurant la vie - voire la survie - de l’Eglise naissante.



Il est beaucoup plus difficile en revanche de savoir quand le passage de l’oral à l’écrit a pu se faire. Nous sommes ici dans le règne des conjectures et il nous est actuellement impossible de savoir si l’Evangile de Marc, premier des quatre évangiles à avoir été rédigé en 65-67, s’est appuyé sur des récits antérieurs ou seulement sur des sources orales   .

Quoi qu’il en soit, c’est bien le développement de l’Eglise chrétienne, dans les années 50-60, qui la conduit, dans un souci d’unité, à recourir à des textes susceptibles d’alimenter la catéchèse ou la liturgie. De ce point de vue, Quesnel souligne l’importance de la Pâque et donc de la Résurrection dont les récits, selon lui, constituent les plus anciens fragments d’évangiles rédigés.

La rédaction des évangiles, objet du troisième chapitre, constitue le moment décisif où la tradition orale prend corps. La nécessité de fixer les événements par écrit fut probablement liée à la disparition progressive des témoins directs de la prédication de Jésus et à la nécessité pour l’Eglise de proposer un support écrit à la liturgie chrétienne, "un peu comme le seder pascal des juifs", nous dit l’auteur avant d’ajouter qu’ "il est raisonnable de supposer l’existence de recueils comme transition entre la transmission purement orale des débuts de l’Eglise et les évangiles dans leur état final." Qu’il s’agisse des récits de Marc, Matthieu, Luc ou Jean, tous les quatre répondent à une exigence vitale de l’Eglise, que ce soit celle de Rome, d’Antioche ou d’Ephèse : proposer un récit suivi concernant Jésus afin de fédérer les croyants et fortifier leur foi.

Après avoir tenté de retracer l’histoire de l’élaboration et de la rédaction des évangiles, l’auteur cherche à déterminer les raisons qui ont conduit à la sélection des textes, ce qu’il appelle de manière plus feutrée "la naissance d’une liste". C’est en réalité dans le courant du deuxième siècle de notre ère que le choix des écrits composant le Nouveau Testament s’est opéré. Et l’auteur de rappeler que, aux yeux de l’Eglise, dans le foisonnement des groupes chrétiens et de la production littéraire, "certains écrits sont apparus comme normatifs pour la foi des communautés et d’autres non." C’est donc bien le critère de l’usage des Eglises qui aurait déterminé en grande partie la définition du canon et qui aurait relégué au second plan les évangiles dits apocryphes, lesquels se proposent parfois de combler les lacunes relatives à la vie de Jésus et plus particulièrement à son enfance et à sa naissance   .



Enfin, une cinquième et dernière partie s’intéresse à la transmission des textes, depuis leur rédaction jusqu’à nos jours. Le problème majeur que rencontre la critique concernant ces textes est de savoir si les manuscrits les plus anciens en notre possession   correspondent à la reproduction fidèle des originaux ou non.

Michel Quesnel, en se proposant de retracer l’histoire des Evangiles, met en lumière un des problèmes majeurs de la critique biblique : le manque de documents relatifs à la période de naissance du Christ. L’auteur ne peut donc qu’avancer des hypothèses dont la validité reste difficilement évaluable. En fait, cette histoire des Evangiles, si elle ne peut passer sous silence de nombreuses zones d’ombre qui entourent la naissance des textes, se révèle toutefois essentielle en ce qu’elle permet au lecteur de prendre conscience de l’extraordinaire complexité intellectuelle et religieuse dans laquelle sont nés ces textes au premier siècle après J.C. Ce petit livre (une centaine de pages) de Michel Quesnel, très accessible et qui met à disposition du lecteur un petit glossaire ainsi qu’une bibliographie sommaire, permet ainsi de mettre l’accent sur le contexte religieux et intellectuel. Le lecteur comprendra dès lors pourquoi les Evangiles ne sont pas, contrairement au Coran ou au Pentateuque, des livres révélés (selon la Tradition) mais des ouvrages issus de la réflexion humaine. De ce point de vue, l’ouvrage nous offre une approche du texte biblique  intéressante  : plutôt que de s’abîmer dans les sempiternels débats consistant à se demander si les événements racontés ont une réelle valeur historique, si les personnages des Evangiles ont bien existé, si Jésus avait ou non un frère prénommé Jacques, mieux vaut essayer de mettre à jour l’intention théologique qui préside à l’élaboration de chacun des textes, autrement dit s’interroger sur les orientations religieuses de la communauté dans laquelle le texte est né, poser la question essentielle  des destinataires et s’intéresser à l’agencement littéraire du texte lui-même   . A ce titre, on ne saurait trop recommander, pour qui veut pousser l’analyse des textes dans cette voie, la lecture et la fréquentation de La Bible et sa culture du même auteur   .