Alain Cavalier est un cinéaste français ; un "filmeur" préférerait-il peut-être - c’est le titre de son avant-dernier long-métrage. Le dernier a été présenté à Cannes cette année dans la compétition "Un certain regard", sous le titre d’Irène. "Les Lettres françaises", le supplément culturel mensuel de l’Humanité, a la bonne idée de consacrer son dossier du mois de juin à Cavalier. Ce portrait fait d’analyses, de critiques de ses films, de témoignages et d’entretiens offre une réflexion sur le cinéma, le pouvoir de l’image, et fournit des éléments de dépassement de l’éternel débat sur la distinction entre documentaire et fiction.

La dénomination de "filmeur" apparaît comme le premier signe d’un rapport nouveau qu'entretient Cavalier au cinéma et à la réalité. L’article inaugural du dossier, de José Moure, insiste sur le cheminement de Cavalier, inverse de celui des autres cinéastes : ressentant "l’impérieuse nécessité de faire des films autrement", le réalisateur passe de films fictionnels à succès à une façon intime et alternative de faire du cinéma. Alain Cavalier se dirige ainsi "vers une pauvreté assumée (…) pour ne filmer qu’au plus près de l’expérience, à portée de main et de visage".

La question de la séparation entre le documentaire et la fiction présente le point nodal du parcours de Cavalier. Réduire la "marge entre le monde vécu et le monde imaginé", "là où le film se glisse dans la vraie vie pour faire corps avec lui" est une des ambitions nouvelles du réalisateur, après avoir tourné des films à succès - acteurs connus, budgets conséquents, importante fréquentation publique, circuits de production traditionnels. Le passage de la pellicule à la vidéo participe également de ce cheminement. "Je ne fais pas de différence entre fiction, documentaire, autobiographie" affirme-t-il dans un long entretien. La sortie du cinéma "subjectif" annonce la tentative d'une "utopie totale", qui abolirait la distinction entre l'objectif et le subjectif.

Le néologisme de "filmeur" s'impose alors pour caractériser ce rôle, "impossible" selon les termes de Cavalier : celui du réalisateur à la fois "complètement immergé dans la réalité" et qui parvient à "ne pas la couper en deux".  Le portrait esquissé par ce dossier dessine la figure attachante de ce filmeur. Contrairement au cinéaste ou au réalisateur, celui-ci inaugure un rapport à l'image qui complexifie la signification du réel, du témoignage et de la preuve au cinéma
 

* Les lettres françaises, dossier Alain Cavalier, juin, n°60