Le débat sur les liens entre l’art et les femmes réactivé par l’exposition elles@centrepompidou est riche d’interrogations : il soulève des questions politiques : Comment permettre une meilleure visibilité des femmes artistes ? Une forme de discrimination positive est-elle appropriée pour pallier ce problème ? Que faire dès lors des principes républicains? Il pose également des questions esthétiques : Y a-t-il un art spécifiquement féminin ? Ont-elles une vision différente que celle les hommes artistes à exprimer sur le monde ? Ont-elles une façon de créer différente ? La quête de l'égalité se brouille dans des questions qui font intervenir des valeurs universalistes et une dénonciation de la domination masculine : l'exigence d’une même capacité à créer face à la réalité d’un accès à l’art inégal ; la volonté d’une reconnaissance égale entre les artistes femmes et les artistes hommes face à la revendication d’une identité spécifique.

La question mise en évidence par le nouvel accrochage polémique à Beaubourg (voir notamment la pétition publiée dans Le Monde "La faiblesse de l’art") se pose de la même façon pour les arts plastiques que pour le cinéma. 

 

Un cinéma féminin?

Le dernier numéro de la revue Contre Bande est consacré au cinéma féminin français contemporain. Cette revue trimestrimelle est une publication du centre de recherches en esthétique cinématographique de l'université Paris-I ; chercheurs et doctorants y participent.

Daniel Serceau, dans sa contribution introductive largement interrogative questionne le "cinéma des femmes". Après avoir mis en lumière l’accroissement important du nombre de femmes réalisatrices, non plus cantonnées aux postes de maquilleuses ou de costumières, au cours des 50 dernières années, il se demande si l'accession des femmes à la mise en scène a bouleversé le cinéma dans son ensemble et dans quelle mesure il est légitime de parler de "cinéma féminin". Toute la question est de savoir dans quelle mesure il est misogyne de parler de cinéma féminin : le chercheur fustige le caractère sexiste de l'idée d'une essence féminine à l'oeuvre dans les films réalisés par les femmes.

Pour autant, une autre contribution propose un regard global sur la question du cinéma réalisé par les femmes en France aujourd'hui, en se situant hors de la perspective monographique du reste du numéro (articles sur les réalisatrices Noémie Lvovsky, Mariana Otero, Julie Bertucelli, Céline Sciamma ou Eléonore Faucher). L'auteur, Hélène Fleckinger, avance l'hypothèse selon laquelle l'expression de l'amour est une des caractéristiques d'un cinéma proprement féminin.

L'expression de l'amour par les femmes cinéastes, ou le dépassement de la dialectique nature/culture

Dans son article intitulé "L'amour est à réinventer. Représentations de la sexualité",  Hélène Fleckinger caractérise une façon spécifiquement féminine de filmer, et en particulier, de filmer l'amour. Le regard des réalisatrices permettrait dans ce sens de "redécouvrir ce que l'impérialisme de l'oeil (...) avait refoulé : d'autres modes de montage et de pulsions où ce qui se voit et ce qui s'entend changent de perspective". Cette phrase de Serge Daney   résume la thèse de l'article : par le cinéma, les représentations sexistes sont remises en question. Non seulement il est démontré que la sexualité féminine est le sujet de prédilection des films réalisés par des femmes, mais encore les enjeux de cette prise de parole sont clairement identifiés : la revendication par les femmes de leur droit au plaisir, au fondement de toute pensée féministe.

Une programmation de courts métrage proposée par le festival Côté court (au cinéma 104 à Pantin du 10 au au 20 juin 2009), "Cyprine", a invité cinq cinéastes femmes à réaliser un film érotique. Les contributions de Jihane Chouaib, Katell Quillévéré, Florence Miailhe, Fabianny Deschamps et Maria Beatty répondent à un même objectif : "interroger les sensations, l’imaginaire et le corps féminin." Loin des stéréotypes, ces films mettent en scène des regards singuliers, des fantasmes personnels de femmes. Le résultat est patent : le retournement des valeurs machistes concernant la représentation de la sexualité.

Dans un livre récent : Les Amoureuses, voyage au bout de la féminité (Seuil, 9 avril), la psychanalyste Clotilde Leguil suit trois parcours de femmes amoureuses dans le cinéma actuel. Un des trois films a été réalisé par une femme, Sofia Copolla. En suivant l'héroïne de Virgin Suicide, l'auteure montre que l'expérience d'une première relation sexuelle ratée peut confronter une jeune fille à une angoisse existentielle. L'objectif consiste à montrer que l'expérience amoureuse se donne comme un passage secret vers la connaissance de soi. Les créations artistiques peuvent aussi jouer le rôle de faire évoluer les représentations de l'ordre social.

L'idée selon laquelle les femmes filment l'amour d'une façon plus romantique, plus douce ou plus sensible relève sans doute de stéréotypes sexistes concernant les femmes et l'existence d'un "éternel féminin". Pour autant, avancer l'idée que la majorité des réalisatrices ne filment pas l'amour de la même façon que la majorité des hommes ne véhicule pas des schémas sexistes : Comment les femmes n'auraient-elles pas intériorisé des normes culturelles façonnant en partie leur manière de voir les choses? Ce n'est pas parler d'une "nature féminine" essentialiste (inhérent au discours sexiste) que d'affirmer que les femmes filment différemment, que leur façon de concevoir l'amour est singulier, puisqu'elle se siteunt de fait dans une position différente (d'inégalité) dans la société. La plupart des femmes exprimeraient dans leurs oeuvres cinématographiques cette façon spécifiquement féminine de considérérer en l'occurence l'amour et la sexualité, une façon acquise culturellement, et non pas issue d'une nature différente.

Non seulement il ne semble pas machiste d'affirmer l'existence d'un cinéma féminin, mais encore, la façon qu'ont les femmes de filmer - de filmer  l'amour et la sexualité notamment - peut contribuer à modifier la façon dominante (masculine hétérosexuelle) d'envisager l'amour et la sexualité - et éventuellement, en retour, de proposer un travail de critique des normes sociales