57 % d'abstentionnistes aux élections européennes de ce mois de juin. Le dernier numéro de la revue trimestrielle Savoir / Agir se présente un outil de compréhension particulièrement opportun de ce taux record depuis 1979. Revue de l’association Raisons d’Agir, elle est publiée par les éditions du Croquant. Cette maison d’édition indépendante s’inscrit dans "une démarche critique des mécanismes de domination" en publiant des ouvrages de sciences humaines.

Intitulée "Un peuple européen sur mesure", cette livraison printanière conçue en fonction du calendrier électoral s’efforce de comprendre le déficit entre les institutions européennes et un hypothétique "peuple européen". L'importance de ces élections au suffrage universel direct pour la démocratie européenne semble inversement proportionnelle au fossé entre les gouvernants et les gouvernés européens. Le dossier, coordonné par Hélène Michel   analyse les "dispositifs d’observation, de mesure, de figuration et de représentation du peuple européen" au sein de la Commission européenne et des organisations paneuropéennes qui se posent en porte-parole de la "société civile".

Un premier temps du dossier analyse le processus d'élaboration d'une "opinion publique" ou d'une "société civile" européenne. Dans "l’Union européenne face à l’opinion", le sociologue politique Philippe Aldrin examine la "construction et les usages politiques de l’opinion comme problème communautaire", en s'attachant notamment à l'instrument de sondage spécifique qu'est l'eurobamromètre. Stéphane Carrara, spécialiste de l'espace médiatique européen, se concentre, dans la même perspective, sur un autre objet : les "agendas citoyens" organisés par la Commission européenne, qui semble ainsi céder à l'"impératif participatif". Et Hélène Michel de revenir sur la tension entre "société civile" et "peuple européen" dans la rhétorique de l'Union.

La seconde partie du dossier aborde sous trois angles la représentation politique du "peuple européen" : à travers les évolutions du Parlement européen ("Tous citoyens?", par Antonin Cohen), ou du point de vue des eurodéputés, pris dans la contradiction entre une élection nationale et un madat à mener dans un cadre européen ("Les eurodéputés : un métier politique sous tension", par Willy Beauvallet). Enfin, c'est à la construction journalistique d'un peuple européen en état de minorité après le référendum de 2005 que s'attache la dernière contribution, "Le politologue, le journaliste et l’électeur", de Joël Gombin et Nicolas Hube.

Le peuple européen "sur mesure", largement imaginé, est ainsi analysé comme désincarné, abstrait de ses contextes socio-économiques variés. La distance induite par cette construction intellectuelle expliquerait le hiatus entre les Européens et les enjeux politiques de l'Union. S'il ne s'agit sans doute pas du seul facteur explicatif, l'analyse convainquante de ce type de construction par la sociologie politique reste incontournable

 

À lire également sur nonfiction.fr :

- Notre dossier "En quête d'Europe", à l'occasion des élections européennes de 2009.