Bernard Cottret signe une excellente synthèse sur Elizabeth I, une des plus grandes reines de l’histoire anglaise.

Comme en hommage à Thierry Wanegffelen, auteur d’une biographie de Catherine de Médicis intitulée Le Pouvoir au féminin, Bernard Cottret publie une vie d’Elisabeth d’Angleterre sous le titre La Royauté au féminin. Au-delà de la proximité des titres, les deux personnages ont beaucoup en commun et se retrouvent en permanence sur la scène internationale du second XVIe siècle   ; elles forment avec la reine d’Ecosse, Mary Stuart, un trio féminin incontournable qui ne peut qu’inciter les historiens à se pencher sur la figure de la femme de pouvoir, à une époque où les affaires publiques sont pour l’essentiel l’affaire des hommes. Le titre choisi par Bernard Cottret annonce d’emblée que cette thématique sera au cœur de son étude d’un des plus grands monarques anglais. C’est très certainement cette volonté d’ancrer le travail biographique dans une perspective problématique plus large qui explique que Fayard se soit doté d’une seconde vie d’Elizabeth d’Angleterre, qui vient aujourd’hui prendre place à côté de celle écrite par Michel Duchein   .

Bernard Cottret aborde la vie d’Elizabeth Tudor au travers de trois grandes parties (la nouvelle Déborah ; la reine excommuniée ; l’Angleterre en guerre) articulées autour des deux dates clefs de 1570 et de 1585, soit l’excommunication de la reine et l’entrée en guerre contre l’Espagne. Après avoir résumé les premières années de la fille d’Anne Boleyn, années incertaines s’il en est, sous les règnes de son demi-frère Edouard et de sa demi-sœur Mary, l’auteur entame une étude détaillée du règne de 45 ans de celle qu’on a parfois appelé la Reine vierge. Il revient bien sûr sur ce qui lui a valu ce surnom et sur sa volonté clairement affichée de ne pas se marier ; ainsi, aux parlementaires qui la poussent, dès 1559, à choisir un parti avantageux, elle répond : « je me suis déjà liée à un mari, c’est le royaume d’Angleterre ». Ce parti pris n’a pourtant pas empêché, au moins jusqu’au début dans les années 1580, des tractations matrimoniales presque incessantes, dont les plus célèbres sont probablement celles qui auraient du aboutir à l’union avec François de Valois, duc d’Alençon puis d’Anjou. Par ailleurs, ce célibat, dont Bernard Cottret ne manque pas de montrer comment il a été mis en scène et utilisé par le pouvoir élisabéthain, est aussi à l’origine d’une question récurrente, celle de la succession.

C’est probablement ici que le poids des affaires écossaises se révèle dans toute sa mesure ; en 1559, Mary Stuart et François II se sont en effet proclamés rois de France, d’Ecosse et d’Angleterre. Malgré la mort de son époux un an et demi plus tard, la reine d’Ecosse n’a jamais cessé de se battre pour la reconnaissance de ses droits ou de ceux de ses descendants à la couronne d’Angleterre, actualisant par là même la séculaire menace écossaise, tandis que se profile derrière elle l’ombre redoutée de la France. La confrontation entre les deux reines, qui ne se sont pourtant jamais rencontrées, parcourt les deux tiers du règne et prend une teinte très particulière puisque Mary Stuart est prisonnière de sa cousine à partir de 1568 et ce jusqu’à son exécution en 1587.

Cette exécution a d’ailleurs été le déclencheur – ou le prétexte – de l’affrontement ouvert entre Londres et Madrid, cristallisé dans les imaginaires européens par l’échec inattendu de l’Invincible Armada, mais surtout expression d’une hostilité déjà latente dans la décennie antérieure. Pourtant, au début du règne, c’est plutôt la France qui fait figure d’ennemi, Elizabeth n’hésitant pas, à plusieurs reprises, à soutenir les huguenots contre le pouvoir royal français. Ces interventions en sous-main de l’Angleterre sont caractéristiques d’une contradiction fondamentale qu’Elizabeth va mettre plusieurs décennies – jusqu’à l’engagement frontal contre l’Espagne – à résoudre, entre sa prudence et sa volonté d’assurer la sécurité de son royaume d’une part et les sollicitations permanentes des huguenots, des princes allemands et des révoltés flamands d’autre part. Cette première contradiction se double du souci constant, qui était déjà celui de son père, d’équilibre européen des puissances de manière à ne trop favoriser ni l’Espagne, ni la France. Ainsi, alors que les rapports avec l’Espagne sont relativement bons durant la décennie 1560, l’Angleterre retourne ses alliances au début des années 1570 avec la signature du traité de Blois franco-anglais de 1572. Ce jeu diplomatique éminemment complexe entre les trois puissances est tributaire des enjeux religieux qui parcourent la période, enjeux qui ont d’ailleurs amené certains historiens à parler de confessionnalisation des relations internationales pour le second XVIe siècle.

Ces enjeux religieux ont évidemment des conséquences intérieures importantes et Bernard Cottret ne manque pas de s’attarder sur la construction de l’édifice anglican et sur la volonté de retour à « la vraie religion », expression plus qu’ambiguë. De plus, la subsistance de fortes communautés catholiques pose un problème dont les répercussions se retrouvent pour partie dans les enjeux internationaux, mais aussi dans les troubles intérieurs, comme la révolte du Nord de 1569. Bernard Cottret parle toutefois d’une société anglaise dans l’ensemble plutôt pacifiée, car fermement tenue en main. Derrière le pouvoir royal se dessine alors l’influence des grands ministres, William Cecil d’abord, principal secrétaire d’Etat de la reine et son Lord Trésorier ; Francis Walsingham ensuite, un temps ambassadeur résident en France, puis secrétaire d’Etat et surtout maître d’un réseau d’information et de surveillance remarquable ; enfin une galerie de portrait du demi-siècle élisabéthain ne serait pas complète sans Robert Dudley, comte de Leicester, ami d’enfance et principal favori de la reine tout au long de son règne.

Bernard Cottret se livre donc, dans un style dont il faut remarquer l’élégance, à une étude de facture classique, dense et complète. A la trame essentiellement chronologique, il mêle toujours un propos thématique   et un réel souci de mise en perspective de la vie particulière qu’il aborde, mais aussi du cas anglais, dans la tradition d’une histoire comparative qui lui est chère. Au final, l’ouvrage est riche d’une multiplicité d’exemples et d’analyses issus de la variété des savoirs abordés par l’auteur au fil de sa carrière ; outre sa connaissance de la Réforme, se devine par exemple son intérêt pour le champ littéraire. Cette biographie est surtout l’œuvre d’un des meilleurs spécialistes des îles britanniques à l’époque moderne comme en témoigne, entre autres, l’excellente bibliographie. Enfin, le souci constant d’explicitation et de contextualisation, le savant équilibre entre analyse scientifique et propos didactique   , font de La Royauté au féminin une excellente synthèse sur celle qui reste une des plus grandes reines de l’histoire anglaise