Le récit sans concession du producteur hors norme Don Simpson dont les succès et les excès sont devenus légendaires à Hollywood.

“Box-office” est une plongée dans le cinéma américain des années 80 à travers le parcours de son producteur le plus emblématique : Don Simpson. D’abord associé à Jerry Bruckheimer chez Paramount puis quelques temps chez Disney, il finira séparé de son acolyte et tentera sans succès de relancer sa carrière. Cet homme a en l’espace de quelques années produit quelques-uns des plus grands succès commerciaux de l’époque, de Flashdance à Bad Boys en passant par Top Gun et Le flic de Beverly Hills. Il est l’inventeur du high concept, qui stipule que si un film peut être résumé en une phrase, alors il aura un succès assuré au box-office. Cette idée, il n’a cessé de la mettre en œuvre, faisant ainsi de sa carrière une suite de produits calibrés, méprisés par la critique mais dévorés par le public, et donc adulés par les décideurs de l’industrie hollywoodienne.

 

Le livre s’ouvre sur les funérailles du producteur, sorte de gala mondain réunissant les puissants de Hollywood et quelques stars découvertes par Simpson et Bruckheimer. Étaient notamment présents les richissimes producteurs David Geffen, Jeffrey Katzenberg, Michael Eisner, et les comédiens Tom Cruise, Will Smith, Denzel Washington, ou encore Michelle Pfeiffer. Mais tous, s’ils connaissaient de nombreuses anecdotes sur le producteur et témoignaient d’une une estime considérable pour l’homme public, ne connaissaient rien ou très peu de ses nombreux déboires et de l’état de santé déplorable dans lequel il se trouvait.

 

Simpson fut le symbole d’une période d’opulence en Amérique où les années contestataires avaient laissé place aux années fric. Ainsi la vie du producteur à succès fut une vie d’excès, où la consommation frénétique de drogues allait de pair avec la fréquentation assidue des prostituées.

 

Charles Fleming trace le portrait très détaillé de ce puissant producteur, en apparence sûr de lui, derrière lequel se cachait en réalité un homme ayant d’autres aspirations professionnelles et traversant une profonde crise identitaire. Une lecture haletante où bon nombre de figures célèbres sont présentées sous un jour nouveau.

 

High concept

 

Sur le tournage de Top Gun, à un conseiller technique lui expliquant que certaines séquences n’étaient pas crédibles, Jerry Bruckheimer répondit tout simplement : “Maman et papa en Oklahoma ne le savent pas et nous faisons ce film pour maman et papa en Oklahoma”. Cette phrase résume parfaitement le travail des deux producteurs stars des années 80, Simpson et Bruckheimer. Peu importait de faire un film profond ou intelligent, le tout était de faire un tabac au box-office. La formule restait la même : écrire une histoire simple avec des scènes d’action bien huilées, engager des acteurs en pleine ascension, réaliser un montage épileptique, et accompagner la bande son de quelques tubes du Top 50. La suite s’appelle le marketing. Tout cela représente la quintessence du high concept ou comment gagner des millions de dollars avec un film imaginé en une demi-journée. À l’origine, en 1974, il y eut Les dents de la mer qui a transformé Hollywood à tout jamais en battant des records d’affluence. Comme l’expliquait déjà très bien Peter Biskind dans son livre Le Nouvel Hollywood, une large partie du public avait définitivement changée, composée maintenant des enfants du baby boom qui ne désiraient plus voir de films déprimants sur la guerre du Vietnam ou la drogue, mais assister à un spectacle en mangeant du pop corn dans les nouveaux multiplex du pays.

 

 

Le high concept a été inventé par Don Simpson, mais Spielberg l’avait en fait utilisé en premier, il déclara d’ailleurs : “Si quelqu’un est capable de me décrire son idée en vingt-cinq mots voire moins, ça veut dire que ça fera plutôt un bon film”. Nous étions rentrés de plain-pied dans les années 80 et la pair Simpson-Bruckheimer entrait tout juste chez Paramount où elle succédait à Bob Evans, autre producteur légendaire d’Hollywood, à qui l’on doit entre autres Rosemary's baby, Le Parrain et Chinatown. Comme le décrit très bien Charles Fleming dans ce livre, en quinze ans de succès, Don Simpson et Jerry Bruckheimer ont sans cesse utilisé le high concept, faisant de chacun de leurs films des copies estampillées, toutes plus branchées et tonitruantes les unes que les autres, Top Gun bien sûr mais aussi Bad Boys, Flashdance, Jours de tonnerre…

 

Chacun des deux producteurs avait un rôle à jouer dans leurs productions. Simpson, plutôt créatif, dialoguait sans cesse avec les scénaristes pour les guider dans une direction régulièrement changeante : Charles Fleming évoque souvent les énormes mémos que pondait le producteur la nuit, ou les interminables conversations téléphoniques qu’il avait, souvent défoncé à la cocaïne, avec ses auteurs. Buckheimer était davantage un exécutif, brillant pour évaluer les coûts de production et organiser les tournages. Mais pour ce qui était des négociations, ils participaient tous les deux ; Bruckheimer déclara un jour : “S’il y a un énorme conflit, je vais être envoyé pour dompter le lion, alors que Don arrivera pour l’abattre, même s’il avait décidé auparavant que le lion devait être laissé en vie. Quand Don débarque, il y a du sang plein les murs”.

 

Charles Fleming présente un portrait de ce producteur unanimement décrit comme quelqu’un de compétent et cultivé mais extrêmement instable. Si Jerry Bruckheimer continue aujourd’hui de produire des films de ce type, Don Simpson avait, semble-t-il, d’autres aspirations avant de mourir. Même s’il a largement profité de ces succès au box-office, il avait parfaitement conscience du niveau culturel médiocre de ses productions, et désirait explorer d’autres formes. Il avait également un véritable besoin de reconnaissance et rêvait au fond de lui d’être acteur ou réalisateur.

 

Le livre, divisé en onze chapitres, raconte parallèlement la fulgurante carrière du producteur et ses penchants pour les excès en tout genre. Nous gravitons ainsi dans cet univers où Hollywood changeait de mains, passant des anciens ténors du cinéma classique aux nouveaux requins du milieu, fraîchement diplômés des grandes universités américaines. Si le public avait changé, avec lui arrivait un nouveau régime dans les studios, au service des films d’action et des stars protégées par leurs agents surpuissants. Et tout ce petit monde se connaissait, fréquentait les mêmes soirées mondaines, très souvent les mêmes dealers et les mêmes prostituées. Charles Fleming, qui a travaillé pour Newsweek et Vanity Fair, décrit l’ensemble avec un grand luxe de détails, et nous entraîne dans un univers incroyablement excessif où tout était autorisé voire encouragé, où les carrières se faisaient et se défaisaient aussi vite, et où l’argent coulait à flot. Il était alors beaucoup moins question de cinéma que de business.

 

 

Les excès

 

Lorsque l’on annonça à Michael Eisner, alors patron de Disney, la mort de Simpson, celui-ci répondit : “Je m’attendais à cet appel depuis vingt ans”. Tous ceux qui connaissaient Simpson savaient qu’il vivait en sursis tant son mode de vie était déplorable. Les quelques mois précédant sa mort, séparé de Jerry Bruckheimer, il les passa à s’empiffrer de beurre de cacahuète toutes les nuits, à boire d’énormes quantités de vin et de whisky, et à sniffer de la cocaïne à longueur de journée. Il était également un grand dépendant aux médicaments contre l’anxiété et la dépression. Son autopsie révéla de fortes doses ingurgitées de cocaïne mais aussi de Valium, de Lexomil et de Xanax. La police estime que ses dépenses en pharmacie s’élevaient à l’époque à plus de 60 000 dollars par mois ! Même si cette période reste comme la plus sombre de l’existence de Simpson, ce dernier pesant plus de cent kilos et n’osant plus sortir en public, reste qu’il fut tout au long de sa vie un grand fêtard accoutumé aux excès en tout genre.

 

Il est celui qui a transformé la station de ski d’Aspen en capitale hivernale de la fête, y organisant d’énormes soirées mondaines avec tout ce que le cinéma comptait d’étoiles à l’époque. Il fût dans les premiers à fréquenter les cures de désintoxication, lorsque cela était “branché” à la fin des années 80, cures dans lesquelles il croisait régulièrement les acteurs Robert Downey Jr et Charlie Sheen. Au “top” de la tendance encore, il subit plusieurs interventions de chirurgie plastique.

 

En accord avec son temps, il avait un rapport à l’argent des plus exubérants. Charles Fleming énumère de nombreuses anecdotes à ce sujet, comme sa manie d’encadrer et accrocher dans son salon les photocopies des chèques colossaux qu’il percevait de la Paramount. Il achetait systématiquement les nouvelles voitures à la mode : nous apprenons ainsi à quel point il s’enorgueillit d’être la seule personne en Californie à posséder une Testarossa noire, les premières heures après sa sortie. Mais la plupart de ses bolides finissaient encastrés contre les murs de la ville lorsque les soirées étaient trop arrosées. Ces caprices n’étaient pas rares à Hollywood, le livre regorge de petites histoires qui laissent le lecteur bouche bée ; par exemple les caprices de Demi Moore, surnommée Gimme More, qui exigeait un jet privé à chacun de ses déplacements, ou Sylvester Stallone qui fit repeindre la suite de son hôtel pendant la promotion de Demolition Man parce qu’il refusait d’être photographié sur un fond jaune…

 

L’appétit de Don Simpson pour les prostituées était également légendaire à Hollywood, il était un ami proche d’Heidi Fleiss et de “Madame Alex”, deux célèbres proxénètes qui lui fournissaient très souvent des filles pour 1000 dollars par jour en moyenne. Encore un point commun avec Charlie Sheen, client assidu. Ses pratiques étaient particulières : sadomasochisme, scatophilie, etc. Il avait d’ailleurs coutume d’enregistrer ses “séances” et de les montrer à ses assistantes au bureau, ce qui lui valut un procès pour harcèlement au début des années 90. Tout ceci était déjà énuméré dans le livre choc sur les pratiques sexuelles du milieu hollywoodien : Tu ne feras plus jamais l’amour dans cette ville de Dove Books.

 

Mais derrière cette exubérance, nous raconte Fleming, se cachait un homme fragile qui manquait de confiance en lui. Ses amis décrivent à quel point il était incapable d’aborder une femme qui lui plaisait à une soirée ; il avait une peur viscérale d’être rejeté depuis le lycée, et à cet égard la fréquentation des prostituées lui permettait de “garder le contrôle”. L’auteur du livre retrouva même certaines annonces que Simpson avait publiées pour rencontrer une femme. Il n’a eu que très peu d’histoires d’amour dans sa vie, très courtes. Il eut tout de même un fils, qu’il n’a jamais reconnu de son vivant, mais que sa famille a recueilli après sa disparition. Il est connu comme avoir été un homme très dur en affaires, souvent cruel avec ses collaborateurs, mais d’une grande générosité envers les siens, payant par exemple la scolarité de ses neveux.

 

 

Professionnellement, Don Simpson avait d’autres rêves, il aurait voulu être célèbre comme l’était son ami Tom Cruise ; il fut d’ailleurs anéanti lorsque ce dernier lui demanda de couper une scène de Jours de Tonnerre dans laquelle ils se donnaient la réplique. La nuit de son décès, il passa un long moment avec son ami réalisateur James Toback qui lui proposait le rôle principal de son prochain film mettant en scène un agent du FBI. Don Simpson, à ce moment-là, était en dessous de tout et paraissait pourtant d’une grande lucidité : il promit de suivre une cure de désintoxication et un régime drastique pour le rôle. Il déclara avec amertume à son ami : “Trop d’argent, trop de liberté. C’est une ville qui permet autant d’excentricité que vous voulez, tant que vous êtes productif”. Moins de quatre heures plus tard, son coeur cessa de battre dans sa salle de bain. Il avait 52 ans.

 

Charles Fleming signe un livre très documenté, appuyé sur les témoignages d’innombrables amis et anciens collaborateurs de Simpson. L’auteur ne bascule jamais dans une étude racoleuse et conserve une véritable fascination pour l’ancien producteur. Il ne cherche pas à entacher sa mémoire mais davantage à percer le mystère d’un homme. Tourner les pages de cet ouvrage, c’est pénétrer dans un univers étrange. Charles Fleming nous présente ici un personnage qui, derrière une carrière éclair remplie de succès au box-office, demeurait obscur, parfois drôle, souvent choquant, et vivait aussi vite que les héros de ses films. Le lecteur qui cherche à se documenter sur l’art cinématographique ne sera pas avisé de lire cet ouvrage, au contraire de celui qui souhaite découvrir les dessous du Hollywood de cette époque, à travers le portrait d’un de ses plus illustres protagonistes.