Ces actes d'un colloque Proust présentent un panorama riche et divers du thème de la connaissance, et des connaissances, chez l'auteur de La Recherche.  

Tout n'a-t-il pas été déjà écrit sur Proust, dont la bibliographie est dans le peloton de tête des auteurs français où elle fait une sérieuse concurrence à Balzac, à Flaubert, à Molière et à Montaigne ? Le présent ouvrage, élégamment imprimé par les Presses universitaires de Strasbourg, montre bien qu'il n'en est rien. Il constitue les actes d'un colloque dont le lieu et la date sont tenus secrets (réponse : 9-11 mai 2007, université de Paris Est/Marne-la-Vallée) et dont le thème est à la fois philosophique – la notion même de connaissance telle qu'elle apparaît dans À la recherche du temps perdu – et pratique – comment Proust a concrètement acquis ses connaissances, scientifiques, artistiques ou autres, telles qu'on les retrouve dans son oeuvre. Précédés d'une introduction d'Annick Bouillaguet, responsable scientifique du volume, les vingt-deux chapitres proposent un ensemble d'une richesse et d'un intérêt considérables, ce qui ne surprend d'ailleurs pas, étant donné que les contributeurs comprennent certains des plus grands spécialistes actuels de Proust.

Parmi les sujets abordés – certains déjà traités par les auteurs dans des ouvrages entiers – on citera, dans le désordre, Proust et Schopenhauer, Proust et le droit, Proust et ce qu'on n'appelait pas encore la sociologie – il a été marqué, comme le rappelle Anne Henry, par les théories de Gabriel Tarde –, Proust et la science historique, la philosophie de l'ameublement chez Proust, Proust visiteur des expositions de peinture (par Kazuyoshi Yoshikawa, auteur de l'indispensable index de la Correspondance), la culture théâtrale de Proust   , les portraits satiriques d'érudits et de savants dans la Recherche. Le personnage de Saniette, dont il est question dans cet ultime chapitre, dû à Isabelle de Vendeuvre, est astucieusement rapproché par Elyane Dezon-Jones, au chapitre précédent, du romancier X.-B.Saintine – mentionné brièvement dans Du côté de chez Swann. À propos de ce qui demeure l'épisode le plus célèbre de ce dernier roman, Luzius Keller explique ce que la madeleine trempée dans la tisane doit à la correspondance de Wagner et à la Fée du sureau d'Andersen.

À la lumière des différentes versions manuscrites (certaines récemment découvertes) du passage des “roses de Pennsylvanie” dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Bernard Brun montre le lien entre critique génétique et herméneutique. Anne Simon consacre une analyse des plus fines à la méconnaissance, qui confine parfois au mépris, affichée par Michel Foucault pour l'œuvre de Proust, chez qui pourtant les thèmes de la surveillance et de la punition (ou de l'autopunition), si fréquemment rencontrés, rejoignent ses préoccupations. Faut-il y voir, comme elle le suggère pertinemment, un rejet politique du Proust théoricien de l'homosexualité, dont les vues à ce propos s'opposent diamétralement aux siennes ? Non moins passionnants sont les chapitres touchant Proust et les sciences. À ceux de François Vannucci et de Mireille Naturel, qui débusquent notamment les “erreurs” occasionnelles de Proust – notamment ce fameux passage d'Albertine disparue où l'eau est présentée comme un composé d'hydrogène et d'azote, expliqué ici comme une réminiscence de Flaubert – répond celui de Françoise Leriche qui démontre que la culture scientifique de Proust provenait en grande partie de sa fréquentation des salons. Une autre démonstration lumineuse est celle de Nathalie Mauriac Dyer – laquelle, comme on sait, n'est pas seulement petite-fille de François Mauriac mais arrière-petite-nièce de Proust – sur les non moins fameuses vertèbres du front de tante Léonie. Les arguments qu'elle y développe sont si justes, si persuasifs qu'on se rallie sans peine à sa conclusion : les éditeurs de la nouvelle édition de la Pléiade ont eu tort, sur ce point, d'amender le texte de 1954. Et ce n'est pas l'un des moindres intérêts de ce volume que de nous montrer une fois de plus – par d'autres exemples de choix contestables faits par les responsables de cette édition par ailleurs admirable – à quel point ce texte “canonique” demeure un texte fluide.

Puisqu'il faut bien trouver quelques ombres au tableau, regrettons l'absence d'index et déplorons en passant que la bibliographie en fin de volume soit d'une présentation si désordonnée – entrées regroupées par mégarde, ponctuation incohérente ou manquante, emploi irraisonné des capitales et des minuscules, lieu d'édition tantôt présent, tantôt absent, tantôt donné en français, tantôt en langue étrangère, tantôt précédant tantôt suivant, à la mode italienne, le nom de l'éditeur, etc. On relèvera quelques coquilles, comme dans tout livre, certes, mais dont certaines sont peut-être, en fait, des fautes de français   , et quelques signes d'un copy-editing un peu déficient, les presses universitaires françaises ayant encore, sous ce rapport, des progrès à faire par rapport à leurs consoeurs étrangères. Mais rien qui suffise à déparer un ensemble somme toute remarquable