Pour les 50 ans du ministère de la Culture, Maryvonne de Saint-Pulgent fait une synthèse réussie de son histoire tout en ouvrant sur ses principaux enjeux d’avenir.

Maryvonne de Saint-Pulgent est haut fonctionnaire, présidente du comité d’histoire du ministère de la Culture et présidente de l’Opéra Comique. Elle a été directrice du patrimoine de 1993 à 1997. Elle est une spécialiste reconnue des politiques culturelles. Son remarquable ouvrage publié en 1999 intitulé Le Gouvernement de la culture, constitue une analyse rigoureuse et sans complaisance de la politique culturelle de l’État. À l’occasion du cinquantenaire du ministère de la Culture, la collection Découvertes des éditions Gallimard lui a confié la tâche de faire connaître à un public plus large l’histoire de ce ministère prestigieux et singulièrement français. Le résultat est une réussite.

L’ouvrage parvient à présenter un large panorama historique en problématisant les principaux enjeux sur lesquels s’est construit le ministère, tout en ouvrant des perspectives vers les questions d’avenir. Il propose une richesse iconographique qui a fait le succès de la collection, en montrant le foisonnement de l’action de ce ministère et ses différentes composantes. Les cinq chapitres qui composent le livre correspondent chacun aux grands enjeux de la politique culturelle étatique - hormis le premier qui retrace la genèse du ministère.

 

Un héritage ambivalent qui fait de la politique culturelle, une politique "contradictoire"

L’auteure rappelle dans son premier chapitre intitulé "Un ministère longtemps désiré" que la création d’un ministère de plein exercice pour la culture était une revendication ancienne des milieux artistiques. Son périmètre n’a depuis lors cessé de s’élargir pour devenir "culture et communication". Modèle certes "controversé" mais néanmoins copié, il  peine désormais à s’adapter aux évolutions du monde contemporain. On comprend clairement, grâce à la construction du livre et à la mise en perspective historique de l’auteure, les contradictions de la politique culturelle française qui, d’un côté, prolonge l’héritage du mécénat royal, décrit dans le premier chapitre, aboutissant ainsi à un "ministère des artistes" prisonnier du clientélisme, et d’un autre côté l’héritage des Lumières avec l’ambition de démocratisation de l’art et des pratiques culturelles. Autre tension, celle qui agite la mission patrimoniale (faisant l’objet du 3ème chapitre), qui est le fait de "l’éclatement des identités contemporaines" qui remet en cause la vocation nationale d’une politique du patrimoine, telle qu’elle a été définie par la révolution française. Tout comme le tourisme culturel qui menace la bonne conservation des monuments.

La construction de son ouvrage pointe le double héritage fondateur de ce ministère : le mécénat royal et le projet des Lumières de popularisation de l’accès à l’art et à la culture. Héritage qui a suscité une tension permanente entre la mission de soutien aux artistes et à la création et la mission de soutien aux artistes ayant contribué à construire son prestige, à accroître considérablement l’offre sur notre territoire, mais aussi à l’emprisonner dans une relation clientéliste avec les artistes et les acteurs culturels les plus importants.

On notera néanmoins un enthousiasme pour le moins excessif au sujet de la lettre de mission du président Sarkozy à Christine Albanel et de la "révolution" qu’il aurait souhaitée en demandant aux ministères de la Culture et de l’Éducation de mettre en place des parcours complets d’éducation artistique. On peut craindre qu’il s’agisse uniquement d’un effet d’annonce : près de deux ans après son élection, les moyens au service de cet objectif sont en baisse et peu de décisions significatives ont été prises pour l’atteindre. La récente installation d’un Conseil de la création artistique présidé par Nicolas Sarkozy semble témoigner d’une réorientation des priorités en matière culturelle, renouant ainsi avec l’ancienne tradition du mécénat royal.

Le dernier chapitre décrit le principal enjeu d’avenir du ministère de la Culture : la montée en puissance des industries culturelles. Depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, ce phénomène pose des questions aiguës à l’intervention publique. Les industries de programme et l’irruption du numérique bouleversent la production, la diffusion et l’accès aux biens culturels, avec des conséquences considérables sur l’économie de la culture. Le caractère mondial des industries culturelles impose des réponses mondiales, à un échelon supranational, que le ministère de la Culture a encore du mal à penser et à organiser.

 

Maryvonne de Saint-Pulgent pointe les failles d’un ministère qui n’a pas encore élaboré de doctrine stable sur le sujet et qui ouvre des débats qui ne sont pas encore tranchés, et qui relèvent d’orientations politiques fondamentales. Les industries culturelles et les médias passent du "contrôle étatique à la régulation", comme en témoigne le passage d’un secteur télévisuel entièrement public à l’ouverture de ce domaine aux opérateurs privés