L’auteur explore à travers une longue immersion en entreprise les différentes dimensions du rapport au travail des cadres.

De nombreux livres se sont intéressés ces derniers temps au sort que les nouvelles organisations du travail et des entreprises réservent aux cadres. Ceux-ci omettent cependant souvent de considérer le rapport au travail des cadres dans sa globalité en mettant surtout en évidence les aspects négatifs et en niant la satisfaction exprimée par les cadres dans les enquêtes.

Cet ouvrage, tiré d’une recherche présentée dans le cadre d’une habilitation à diriger des recherches, restitue au contraire, le plus précisément possible, l’expérience des cadres au travail dans ses différentes dimensions. Le risque est ici inversé par rapport aux livres ci-dessus : c’est celui de minorer les effets négatifs de l’organisation du travail, et partant de désarmer la critique. Sauf si, une telle plongée permet de mieux comprendre ce que sont véritablement les motifs d’insatisfaction (et de satisfaction) des cadres aujourd’hui.

L’organisation du travail conditionne les logiques d’action que peuvent déployer les cadres, mais sans les déterminer complètement. Et surtout le rapport des cadres au travail, lorsqu’on les écoute, apparaît à la fois fragmenté et instable. Mais cela n’empêche pas de pointer quelques contradictions fortes. Ce livre est le produit d’observations et de nombreux entretiens menés à partir d’une immersion de dix-huit mois dans un département de la direction des ressources humaines d’une grande entreprise du secteur aéronautique.

 

Des épreuves multiples

Le rapport au travail des cadres combine plusieurs aspects. L’auteur distingue trois types d’épreuve qui chacune renvoie à une dimension particulière. L’épreuve subjective concerne le regard porté par les acteurs sur la nature de l’activité à accomplir. Les cadres s’expriment sur ce qu’ils ont à faire, sur la manière dont ils le font, ce qu’ils éprouvent et ce qu’ils retirent de leur travail, explique l’auteur. L’épreuve des pairs renvoie au collectif de travail. Les cadres évoquent à ce propos les liens interindividuels et hiérarchiques qu’ils entretiennent, la construction des réseaux professionnels et amicaux, qui se nouent, se dénouent, et donnent un autre sens à leur travail. Enfin, l’épreuve de l’organisation concerne les procédures d’évaluation et de gestion de carrière qui débouchent ou non sur des augmentations et des promotions.

Sans entrer dans le détail de l’analyse (qui pourra parfois lasser le lecteur), il est possible de mettre en évidence trois contradictions fortes de l’organisation du travail. Elles portent chacune sur une de ces dimensions. Tout d’abord, le manque de reconnaissance général qu’expérimentent les cadres pour leur travail. Ensuite, le repliement sur les solidarités locales, qui opposent bien souvent les services les uns contre les autres, quand l’organisation prône au contraire la collaboration. Et enfin, le fort hiatus entre la rétribution au mérite, très présente au niveau du discours, et les règles de gestion des promotions et des augmentations.

 

L’absence de hiérarchie stable

La partie la plus intéressante du livre est sans aucun doute la conclusion dans laquelle l’auteur propose une typologie des rapports au travail que peuvent entretenir les cadres, en articulant les trois dimensions ci-dessus et en retenant pour chacune d’entre elles deux modalités, positive ou négative (ce qui donne lieu à huit configurations). La manière dont chacun combine son rapport au travail dépend bien entendu de la situation dans laquelle il se trouve, mais aussi de ses ressources propres, explique l’auteur. Différentes situations peuvent ainsi être plus ou moins vivables, selon le cas. Aucune de ces dimensions ne semble devoir s’imposer et leur hiérarchisation paraît dépendre de la situation dans laquelle chacun se trouve. En outre, les choses peuvent varier dans le temps rapidement, révélant à quel point les situations sont mouvantes et fragiles, notamment du fait de l’instabilité de l’environnement du travail que les cadres subissent.



Des degrés de latitude qui diffèrent

Cela dit, les capacités d’action varient selon les registres. La première dimension, l’épreuve subjective, est probablement la plus ouverte. Si les cadres ne définissent pas leur travail, ils le modulent en effet très largement et l’activité réserve ainsi un certain nombre de satisfactions. La marge d’action des cadres est certainement plus aléatoire dans le second registre, l’épreuve des pairs, dans la mesure notamment où ils ne disposent généralement pas de la capacité de constituer leur équipe. Confrontés à des problèmes dans cette dimension, ils auront certainement moins de latitude pour s’en sortir.

Mais c’est sur le dernier registre que les cadres se montrent les plus critiques. Non pas qu’ils n’adhèrent pas à la rétribution au mérite, au contraire (même si l’on peut se demander quelle est la part d’illusion dans cette adhésion). Mais parce qu’ils constatent que la règle bien souvent n’est pas appliquée et qu’ils n’y peuvent alors pas grand-chose.

Au final, il n’est pas certain que l’auteur ait tiré de la description très fouillée et très convaincante à laquelle il s’est appliqué tout le potentiel théorique, de construction et d’articulation d’hypothèses, qu’elle renferme, en partie sans doute en raison d’un enfermement monographique. Mais ce n’est peut-être que partie remise, car la perspective ici mise à jour est assurément d’un grand  intérêt