Le 22 octobre dernier, deux jours après l’expiration de l’échéance fixée par l’Union européenne pour l’intégration dans la législation grecque de la directive communautaire 36/2005 sur la reconnaissance des droits professionnels, Jean-Robert Pitte, président de l’Université Paris-Sorbonne, était à Athènes pour prospecter le marché grec et rechercher des partenaires privés en vue de l’implantation d’une Sorbonne "Made in Greece" sur le modèle de la faculté française d’Abu Dhabi…

Son voyage à la capitale grecque, baptisé ironiquement par le quotidien de droite Eleftheros Typos comme le "débarquement français au marché du travail" a été diversement apprécié par ses collègues grecs. Certains recteurs collaborant déjà depuis fort longtemps avec des universités françaises n’ont pas manqué de dénoncer l’aspect purement commercial de cette opération. "Pourquoi la Sorbonne cherche des partenaires privés ? se demande Constantin Bayatis, recteur de l’Université de Thessalie, si Paris-IV le souhaitait, il pourrait tout aussi bien établir des partenariats avec nos universités publiques grecques. Mais chez nous, rappelle-t-il, les frais de scolarité sont gratuits…." Alors qu’à la future Sorbonne d’Athènes, il est vrai, les frais de scolarité s’élèveraient à 8.000 voire 10.000 euros par élève et par an…

"Et que dire du moment choisi par Jean-Robert Pitte pour effectuer son voyage de commerce dans un pays en plein débat sur la libéralisation du secteur de l’éducation ?" s’interroge un autre professeur de l’École Polythechnique d’Athènes : "Voilà que depuis deux ans, pris en tenaille entre le puissant lobby des collèges privés et le mouvement étudiant sur la question de la révision de l’article 16 de la Constitution reconnaissant la primeur et la préférence de l’enseignement public, le gouvernement grec cherche à gagner du temps pour retarder l’application de la directive 36/2005." Et le même universitaire de citer les déclarations tonitruantes du président de Paris-IV sur l’ouverture du marché éducatif : "J’espère que la législation va changer et que l’article 16 de la Constitution grecque sera révisé car il s’agit d’un protectionnisme qui n’est pas conforme avec l’esprit de la construction européenne…"

Ironie de l’histoire, à peine dix jours avant le début du mouvement de critique des étudiants français contre l’autonomie des universités, dans une interview au quotidien de gauche Eleftherotypia, Jean-Robert Pitte déclarait ceci :
"La loi française a été modifiée récemment et nos universités disposent maintenant d’une plus grande autonomie. (…) J’espère que dans les années à venir les différences entre les grandes écoles et les université publiques vont se réduire. (…) Nous avons, par exemple, signé un accord avec l’une de ces grandes écoles privées permettant à nos étudiants de choisir des cours à l’établissement de leur choix avec tacite reconnaissance du cursus. Cela montre que les mentalités changent. Personnellement je m’inscris contre la tradition française qui postule que toute ce qui est public est meilleur. (…) D’où notre misère actuelle. Un de nos plus grands problèmes est que l’université publique - qui n’applique pas une sélection à l’entrée - a fini par accueillir tous ceux qui ont été refusés par les autres établissements. (…) Mais je me trouve à l’étranger et je ne veux pas répandre une image négative de mon pays."