Une étude approfondie consacrée à la politique culturelle de Rennes qui, à partir de cet exemple, met en avant le rôle du politique en matière de culture.

Si l’histoire se raconte au présent, le témoignage se livre au passé. C’est sous cette forme que Martial Gabillard, historien de formation, ancien adjoint à la culture de la ville de Rennes pendant les cinq mandats du maire socialiste Edmond Hervé (1977-2008), s’attache à restituer la dense chronique de la politique culturelle rennaise, qu’il a lui-même orchestrée aux côtés de nombreux partenaires institutionnels, associatifs et artistiques. À l’heure où les entretiens de Valois   réaffirment avec force la place et le nécessaire engagement des collectivités locales dans le secteur culturel, cette monographie a l’atout essentiel de mettre en relief le rôle du politique dans les orientations et les décisions prises en matière culturelle à l’échelle d’une municipalité et ce dès les années quatre-vingt. De quoi faire taire tous ceux qui s’enthousiasment du "nouveau rôle" joué par les collectivités territoriales dans le secteur culturel…

Au regard de son expérience d’acteur politique engagé sur le terrain, Martial Gabillard invite le lecteur à appréhender les enjeux auxquels se trouvent confrontés les élus lorsqu’il s’agit de penser la culture et le développement culturel dans l’espace urbain. C’est de notre point de vue le grand mérite de cet ouvrage, pour qui s’interroge sur le sens de l’intervention publique autre qu’étatique en matière culturelle. Si cette expérience est avant tout singulière et propre à la ville de Rennes, elle reflète néanmoins les problématiques de l’action culturelle à un niveau local et tend à éclaircir les relations qui se tissent entre les différents acteurs de cette politique.

De ce témoignage de longue haleine naît un récit de l’intérieur parfaitement documenté du contenu de trois décennies de politique culturelle à Rennes. Cet aspect présente une véritable utilité pour ceux qui recherchent des informations détaillées sur l’histoire des équipements ou des événements culturels rennais. Cependant, l’auteur, dans son enthousiasme à offrir un témoignage complet, se laisse aller à quelques répétitions et éclaircissements qui rendent parfois la lecture aride et quelque peu descriptive, au détriment d’une analyse que l’on souhaiterait par moments plus incisive.

 

Construire une politique culturelle

L’intervention publique municipale en matière culturelle est le fruit d’une lente construction, de savants arbitrages et d’ajustements éminemment politiques. Prouver qu’une réelle volonté politique préexiste à la mise en place de la politique culturelle rennaise est l’un des objectifs majeurs de l’auteur. Ce volontarisme municipal se matérialise notamment par une forte augmentation du budget dédié à la culture qui passera de 11,37 % à 16,28 %  entre 1977 et 2008.

Quand l’équipe d’Edmond Hervé arrive aux commandes au printemps 1977, Rennes n’est pas un désert culturel : l’ère Malraux et le vent de démocratie culturelle ont favorisé la naissance d’équipements tels que la Maison de la culture et le Centre dramatique de l’Ouest ; le terreau associatif est dans cette ville particulièrement dense. Construire une politique culturelle implique de définir des objectifs politiques pour la culture qui seront explicités en 1979 dans un rapport rendu par Martial Gabillard : "la promotion de la création individuelle et collective", "un développement culturel pour tous", "une nouvelle vie d’expression culturelle des rennais", objectif répondant à l’exigence du "tout culturel" porté par les élus rennais. D’autres étapes marqueront l’action politique de la ville de Rennes en matière de culture. Les années 1985 - 1986 correspondent à la mise en place des conventions entre la ville et les différents équipements culturels. En 1997, les "assises de la culture" qui rassemblent un grand nombre d’acteurs (institutionnels, associatifs, artistes…) sont un moment important pour réinterroger la politique culturelle rennaise et lancer de nouveaux projets.

Les chapitres consacrés à l’action politique sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils permettent de souligner les jeux d’acteurs spécifiques à l’action culturelle municipale et notamment les "combats" menés face aux élus de l’opposition (par exemple la mise en place de l’écomusée des pays de Rennes à la Bintinais) et les relations qu’ont pu entretenir les adjoints à la culture rennais avec les agents du ministère de la Culture, notamment pendant la faste période du ministère Lang. On comprend mieux alors quel peut être le rôle d’un tel ministère,  quelle peut-être son utilité dans un souci de concertation constant avec les autres acteurs de la politique culturelle. Par exemple, la création du Centre chorégraphique et l’installation du danseur et chorégraphe Gigi Caciuleanu au début des années quatre vingt est une initiative ministérielle à laquelle la ville de Rennes donnera une impulsion forte, déterminante pour son histoire chorégraphique.

 

Vers une vitalité culturelle rennaise

Résumer près de 700 pages de réussites et d’échecs d’une politique culturelle n’est pas l’objet de cet article. On peut pourtant souligner, tel que l’expriment les douze chapitres thématiques de ce livre, que l’originalité de l’action publique rennaise en matière culturelle repose sur une volonté manifeste d’embrasser tous les secteurs de la vie culturelle dans le but d’accompagner le développement non seulement du théâtre, des musées et de la danse mais aussi des musiques actuelles, des activités socio-culturelles et des expressions culturelles bretonnes. Placer la focale sur l’action municipale, c’est insister sur le rôle d’accompagnement propre aux collectivités territoriales quand il s’agit d’offrir à une ville une vitalité culturelle nouvelle.

Tout original qu’il soit dans le champ de la littérature sur les politiques culturelles, le témoignage de Martial Gabillard reprend des chapitres de l’histoire culturelle rennaise déjà bien défrichés par certains chercheurs : crise de la Maison de la culture de Rennes,  la création du théâtre national de Bretagne, Transmusicales… À ce titre, les passages qui concernent les chapitres moins connus de l’intervention publique rennaise (notamment l’action socio-culturelle et la formation artistique) et les chantiers récents (développement des Champs libres   ou les questionnements autour de la survie de l’identité bretonne) apportent un véritable complément aux ouvrages déjà existants.

En filigrane de cet ouvrage inspiré par la maturité et l’expérience politique réapparaissent des questionnements qui se situent toujours au cœur des réflexions actuelles sur les politiques culturelles. Il sont d’ordre politique et institutionnel : quel peut-être le rôle des collectivités et des territoires dans la conduite des politiques culturelles ? Comment les différents partenaires institutionnels (collectivités, État, et aujourd’hui l’Europe) peuvent-ils mener une action concertée qui favorise la vitalité culturelle des territoires ? Mais aussi d’ordre managérial. Un seul exemple, Martial Gabillard défend l’idée d’une gestion des équipements culturels par des "intendants" qui ne soient pas des artistes. Or la dynamique actuelle tend plus à placer des créateurs à la tête des établissements artistiques.

Ainsi, la vertu de ce témoignage est de remettre quelques pendules à l’heure et surtout d’encourager une réflexion qui loin d’être nouvelle n’est pas moins inachevée sur le rôle de l’intervention publique dans le secteur culturel, quel que soit l’échelon à partir duquel on l’observe