Quelques idées concrètes pour permettre à la gauche de faire entendre sa voix dans le débat national sur le travail et l’emploi.
 

Dans cet ouvrage, de la collection "L’encyclopédie du socialisme", les auteurs, François Kalfon et Tristan Klein   , reviennent sur les manifestations et les causes de ce qu’ils appellent le "divorce" entre la gauche et le travail. Des pistes de réflexion sont ensuite esquissées concernant une possible réconciliation.


Les manifestations et les causes de ce divorce

Les auteurs observent que le monde du salariat s’est détourné de la gauche depuis 2002. En 2007, c’est la droite qui a su capter une grande partie de cet électorat réalisant ainsi ce que les auteurs qualifient de "hold-up", quand la gauche a du se contenter, elle, d’un électorat disparate et éloigné du monde du salariat (chômeurs, fonctionnaires, employés d’entreprises à statut, "bobos"). En outre, le discours de Ségolène Royal lors de la campagne présidentielle de 2007, quoique également fortement axée sur "la valeur travail" a été beaucoup moins convaincant, faute de lisibilité et de positionnement idéologique claire. Enfin, l’ouvrage souligne l’échec des politiques sociales marquées plus idéologiquement à gauche et mises en œuvre au cours des 15 dernières années (réduction du temps de travail, contrats aidés).

Les auteurs insistent sur l’incapacité de la gauche à prendre acte des évolutions qui touchent le monde du travail depuis 20 ans (mondialisation, chômage de masse, marché du travail éclaté, flexibilité accrue, segmentation du marché du travail, chômage des jeunes, exclusion des seniors, désindustrialisation et délocalisation, précarité, pouvoir d’achat, pauvreté), fustigent l’incapacité de la gauche à "changer de paradigme face à la mondialisation" et accusent plus particulièrement la gauche de la gauche de se crisper sur la sauvegarde d’un prétendu âge d’or comme si accepter de prendre acte des changements balayant le monde du travail revenait à faire allégeance à l’idéologie libérale.


Les pistes pour une réconciliation

Les auteurs font appel à la sacro-sainte notion de sécurisation des parcours professionnels pour proposer quelques pistes de réflexions. Cette notion prend acte de la mobilité croissante des parcours professionnels des salariés et du fait que "l’emploi à vie" dans une seule et même entreprise est devenu un parcours professionnel exceptionnel. L’objectif est alors de privilégier le parcours professionnel à l’emploi. Plutôt que lier l’accès à un certain nombre de droits (formation professionnelle, protection sociale complémentaire) au bénéfice d’un emploi, il s’agit de protéger l’individu pendant toutes les étapes de son parcours professionnel et en particulier au cours des périodes de sa vie pendant lesquelles il est privé d’emploi.

Cette vision du problème innove incontestablement puisqu’elle va à l’encontre des politiques traditionnelles de la gauche qui ont toujours fait du droit du travail l’Alpha et l’Oméga de la lutte contre le chômage. Les auteurs attirent néanmoins l’attention sur les contours très indéfinis de cette notion de sécurisation des parcours professionnels, encore parfois appelée "flexicurité" et soulignent que celle-ci peut parfois donner naissance à des réformes d’inspirations libérales, faisant prédominer la flexibilité sur la sécurité (réforme du contrat de travail unique   ).
 
L’ouvrage invite donc la gauche française à donner une signification concrète à cette notion de et formule des pistes de réflexion autour de cinq "piliers" : l’emploi, la formation, la progression salariale, le reclassement et la transférabilité des droits.

En matière d’emploi, les auteurs insistent en particulier sur la nécessité d’accorder aux bénéficiaires de minimas sociaux la même place que les autres sans emploi qui sont dans la perspective d’y revenir. Concernant le pilier dit "progression salariale", les auteurs constatent que seul le SMIC fait l’objet d’augmentations régulières, soulignant que les autres salaires n’augmentent pas assez. Ils invitent donc notamment à revoir les mécanismes d’allègement de charges sociales et à les mettre en œuvre par branche en fonction des minimas propres à chaque branche.

Ensuite, ils recommandent une transférabilité de l’ancienneté au sein des branches professionnelles, afin qu’un salarié quittant son entreprise pour aller dans une autre en y exerçant une activité identique ne voit pas son compteur remis à zéro, et ne soit pas privé de tous les droits qu’il avait pu acquérir compte tenu de son ancienneté (primes, congés supplémentaires). En matière de reclassement et mutations économiques, les auteurs soulignent principalement la différence de traitement entre les petites et les grandes entreprises en la matière et invitent notamment à la généralisation du contrat de transition professionnelle   . Pour la transférabilité des droits sociaux, il est notamment proposé de favoriser la transférabilité de la protection sociale complémentaire afin de faire en sorte qu’un salarié qui quitte son entreprise ne soit pas privé de sa mutuelle et de ses droits à la prévoyance. Enfin, en ce qui concerne la formation, les auteurs appellent de leurs vœux une réforme du service public de la formation, soulignant notamment les difficultés administratives existantes pour accéder à la formation.

Les préconisations viennent ensuite avec notamment la remise en cause de la partition entre demandeurs d’emploi et salariés pour l’accès à la formation, et la réforme du système actuel de financement de la formation professionnelle qui est trop complexe, les droits étant intransférables d’une branche à l’autre. Les auteurs proposent également d’aller au-delà de la fusion ANPE-UNEDIC bientôt mise en œuvre et de mettre en place un "guichet unique" : formation professionnelle / ANPE / UNEDIC, c'est-à-dire une administration qui serait chargée à la fois de la collecte des fonds et du financement de la formation professionnelle, de l’action d’aide à la mobilité professionnelle, mais aussi des dimensions du retour à l’emploi et de l’indemnisation du chômage.

L’ouvrage peine dans un premier temps à se différencier des idées avancées par la droite malgré les critiques lancées au gouvernement Sarkozy. On craint le pire, en effet, quand les auteurs annoncent que la place de la gauche dans le débat repose sur la notion de sécurisation des parcours professionnels, notion consensuelle et aux frontières on ne peut plus mouvante, dont tout le monde, à droite comme à gauche, se réclame depuis quelques années.

Pourtant les auteurs parviennent à donner une réelle consistance à cette notion. Ils proposent ainsi, à la fin de l’ouvrage une série de mesures très concrètes, initiative qui doit être saluée, le parti socialiste n’ayant pas été en mesure de proposer un discours d’une telle précision lors de l’élection présidentielle de 2007. C’est donc en précisant son discours, en exposant des idées concrètes que la gauche pourra trouver sa place dans le débat sur le travail et se différencier de la droite.

La lecture de l’ouvrage s’avère néanmoins troublante en cette période, Nicolas Sarkozy, brouillant allègrement les pistes en redonnant la part belle à des politiques idéologiquement marquées à gauche (politique de relance budgétaire, financement de 100.000 contrats aidés…) et en mettant en œuvre des idées justement énoncées par les auteurs eux-mêmes (généralisation du contrat de transition professionnelle)