Hier matin (16.12.2008) régnait à Strasbourg un air de politique. Une jolie pièce de théâtre : trois acteurs, trois idées et un figurant. D’abord, Nicolas Sarkozy, l’omniprésident selon Der Spiegel et les autres, était en forme. Un grand discours politique où il a remercié tout le monde, dit que l’Europe a avancé, récapitulé ses réussites, nombreuses, et ses quelques échecs – comme le régulateur européen de l’énergie que n’a pas manqué de souligner Marielle de Sarnez. Il a rappelé que le paquet énergie-climat a été voté à l’unanimité et a vanté les mérites de ce mode de décision.

Une unanimité qui tire l’Union vers le bas selon les Verts et Daniel Cohn-Bendit, le deuxième acteur de cette journée. Le leader écologiste était vent debout contre Sarkozy et sa manière de diriger l’Europe, celle des gouvernements (lire l’article de Libération : "Vifs échanges entre Cohn-Bendit et Sarkozy au Parlement européen", 16.12.2008) Il a salué les succès de la présidence française mais s’est arrêté sur la mise au rancart des institutions européennes : "Vous réduisez le Parlement européen à un viagra pour gouvernements. (...) Vous avez fait de l'égoïsme national des uns et des autres un compromis."

Nicolas Sarkozy lui a répliqué que d’habitude il était plutôt courtois, mais que devant les caméras "il devenait comme fou". "Fou contre fou" dira plus tard l’ex-soixante huitard. «Sur le paquet climatique, nous étions forts, mais on est passé du trois fois 20 à la légitimité de l’économie 4x4", selon Cohn Bendit, en référence au triple objectif de l’Union européenne sur le climat (-20 % de CO², 20 % d’énergies renouvelables et 20 % d’économies d’énergie).

Troisième acteur de cette journée, Graham Watson, président du groupe ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe) : "Vous n’avez pas besoin de tout faire, laissez le ministère des Finances à Jean-Claude Juncker et l'euro à Jean-Claude Trichet." Et, parodiant une chanson de Carla Bruni-Sarkozy : "C'est le temps du départ, retournez à d'autres étoiles et laissez-nous la fin de l'histoire."

Ces trois hommes ont touché au cœur du problème de l’Europe d’aujourd’hui : elle doit agir par des personnalités incarnées, elle doit agir avec des institutions politiques fortes, et elle ne peut le faire avec un seul homme. José manuel Barroso, l’éternel figurant, n’a pas répondu à Cohn Bendit qui l’accusait, violemment, d’avoir transformé la Commission européenne en un secrétariat des États. Interrogé par Nonfiction.fr sur le faible rôle de la Commission, Cohn-Bendit a répondu : "Le fonctionnement de Barroso, c’est d’appeler les grands États pour leur demander ce qu’il faut faire. Et les commissaires font ce qu’ils veulent, même McCreevy [Commissaire pour le marché intérieur], il ne les remet jamais en place."

 



Cette présidence française aura été marquée par la personnalité du chef d’État français. Il a remis, sans contestation possible, la France dans le jeu européen. Il a géré les crises avec brio, fait avancer des politiques importantes et remis au goût du jour la question fondamentale qui anime l’Europe depuis toujours : Europe dirigée par le Conseil des ministres ou Europe de la Commission. Il a préfiguré ce que pourrait être un Conseil européen stable de deux et demi après ratification du traité de Lisbonne. Avec cette option, la Commission deviendrait un simple secrétariat (elle s’en approche déjà sous Barroso).

Problème : le futur président du Conseil n’est pas responsable devant le Parlement européen. Le risque est de voir renaître de plus belle une des critiques majeures des politiques européennes : leur manque de base démocratique. Quelle légitimité pour un président qui serait, sous le traité de Lisbonne, simplement nommé par les États et plus ou moins dépendant du jeu des intérêts nationaux ?

 

 

* Sur le conflit Sarkozy-Cohn Bendit : le blog Paris-Bruxelles.

* À lire également sur nonfiction.fr :

- François Foret, Légitimer l’Europe. Pouvoir et symbolique à l’ère de la gouvernance (Presses de Sciences Po), par Hélène Caune.

- Florence Autret, Sarkozy à Bruxelles (Seuil), par Éric L'Helgoualc'h.

- Jean-Dominique Giuliani, Un européen très pressé (Éditions du moment), par Alexandre Barthon de Montbas.
 
- Ivo Sokatchev, "La France face à la nouvelle Europe".
 
- Ivo Sokatchev, "Bill Gates et Henri Emmanuelli, même combat ?"

- Nicolas Leron, "Hartmut Kaelble : à la recherche d'un espace public européen".

- Nicolas Leron, "Eric Hobsbawm : l'Europe anachronique".

- Nicolas Leron, "Jean Quatremer : l'Europe, la voie hobbesienne".