Un retour réflexif sur des travaux empiriques récents consacrés aux restructurations d’entreprises.

Ces dernières années, les restructurations d’entreprises ont fait l’objet de nombreux travaux de recherche, qui ont multiplié les angles d’analyse   . Ce livre, né de réflexions menées au sein de l’AGRH   , porte un regard réflexif sur un certain nombre de ces travaux en s’interrogeant sur l’utilité pour l’action des connaissances ainsi produites   . La crise économique qui se profile et le lot de restructurations qu’elle entraînera fatalement incitent à y regarder de plus près.

Une première partie regroupe des travaux centrés sur la place des individus dans les restructurations. Le premier chapitre est ainsi l’occasion pour ses auteurs de revenir sur l’étude qu’ils ont consacrée aux licenciements pour motif personnel. Ceux-ci se sont largement substitués aux licenciements pour motif économique au cours des dernières années, en particulier pour les cadres. L’apport de connaissances consiste ici essentiellement dans une mise à jour des vécus et des représentations différenciés du licenciement pour motif personnel (selon qu’il s’agit d’un cadre senior ou junior évoluant au niveau local, ou au contraire d’un cadre appartenant à l’élite managériale de la firme globale) et leur articulation aux politiques de ressources humaines et aux mutations stratégiques que connaissent les grandes firmes.
 

Le second chapitre porte sur la place des salariés âgés dans les restructurations et, plus généralement, sur leur faible taux d’emploi en France. L’auteur s’appuie sur ses propres recherches et sur ses lectures pour suggérer de considérer moins l’individu et son âge et davantage la relation individu-organisation, et ce afin de résoudre les difficultés des seniors. Le chapitre suivant dresse un intéressant bilan critique des travaux nord-américains et français consacrés aux “survivants” des restructurations. Ceux-ci mettent l’accent sur les impacts psychologiques, sanitaires et comportementaux que l’on peut observer chez ces rescapés, allant jusqu’à évoquer un “syndrome du survivant”. Le statut comme la portée opérationnelle de ces travaux d’orientation psychologique et individualiste peuvent être questionnés en faisant appel à de nouvelles orientations de recherche. Selon les auteurs, ces orientations permettent de prendre en compte en particulier les dimensions collectives (rôle des syndicats et des représentants du personnel).

La deuxième partie regroupe des travaux centrés sur l’évaluation des dispositifs de régulation sociale. Le premier chapitre est l’occasion pour ses auteurs de revenir sur une étude qu’ils ont réalisée pour la DARES sur l’évaluation des dispositifs d’accompagnement des salariés licenciés lors de plans sociaux, à partir de trois cas de restructurations “lourdes”. Leur diagnostic met l’accent sur le caractère parcellaire des dispositifs en question et le fait que ceux-ci soient finalement peu évalués. Il existe, par exemple, une forte inégalité de traitement des salariés exposés au risque de perte d’emploi   . Leurs recommandations visent à favoriser des processus de pilotage multi-acteurs des restructurations   . Les auteurs concluent par quelques réflexions sur les conditions de production de ces résultats et sur l’appréciation de leur utilité. Proche par certains côtés d’une démarche de recherche-intervention, cette étude s’en distingue toutefois dans la mesure où le client principal (le ministère du Travail) est ici dans une position de surplomb par rapport au(x) terrain(s) d’étude, et où le terrain lui-même n’est pas directement demandeur  

Le chapitre suivant examine les possibilités ouvertes par les accords de méthode   et la manière dont les partenaires sociaux s’approprient ce nouvel outil juridique. Celui-ci favorise, montre l’auteur, le choix d’une stratégie orientée vers la négociation plutôt que vers le conflit (d’autres études sur le même sujet confirmant cette évaluation), pour autant que certaines conditions soient réunies. Ici, les connaissances mises à jour sont celles que les acteurs mobilisent eux-mêmes, la question de leur utilité pour l’action va ainsi davantage de soi qu’aux chapitres précédents.

Le chapitre suivant propose d’examiner les restructurations sous l’éclairage de la théorie des parties prenantes, en s’intéressant alors plus particulièrement à trois aspects : le reclassement des salariés, la revitalisation des territoires et le dialogue social. Le cadre théorique proposé conduit à se poser encore différemment la question de l’utilité pour l’action ou du caractère appropriable des connaissances produites, en interrogeant les modalités de construction d’acteurs puissants, légitimes et requérant une attention immédiate dans le cas des restructurations  

La troisième partie rassemble des textes qui permettent d’approfondir la question de la place des chercheurs dans la production et la diffusion des innovations. Le premier chapitre est consacré aux restructurations hospitalières, dont l’auteur montre à la fois les spécificités et la complexité. Dans un tel contexte, le chercheur peut s’inscrire dans un accompagnement à un niveau local, où la collaboration permet la co-production de pratiques et de connaissances nouvelles. Mais les changements locaux en matière de GRH exigent des modifications du cadre institutionnel plus général. Et, s’il veut peser sur celles-ci, le chercheur doit alors réussir à se connecter, à un moment donné, à des solutions ou à des problèmes qui sont à l’agenda du décideur   .
 

Le chapitre qui suit propose un intéressant bilan du projet MIRE   , qui cherchait à identifier des approches innovantes en matière de restructuration, par l’une des équipes françaises qui a participé à ce projet. Ses auteurs montrent comment celui-ci peut être interprété comme visant à institutionnaliser de nouvelles normes de régulation des restructurations sur la base du travail d’un réseau d’acteurs jouant le rôle d’entrepreneur institutionnel. L’élaboration d’une grille de recommandations, établie sur la base de cas jugés satisfaisants apportés par les membres du réseau, vise à pallier les carences de la “gestion ordinaire” des restructurations   . La question qui reste en suspens est néanmoins celle du mode de diffusion des orientations préconisées, notent les auteurs   . Enfin, le dernier chapitre donne la parole à un acteur qui a été fortement impliqué comme représentant de l’État dans de nombreuses restructurations depuis plus de deux décennies. Il plaide alors pour une évaluation critique, plus régulière, des pratiques de restructurations par les acteurs, une relative souplesse des règles légales pour ménager des espaces d’innovation et de dialogue, et le renforcement des relations entre chercheurs et acteurs dans le strict respect du rôle de chacun   .

Au final, ce livre ne tient sans doute pas toutes ses promesses, même si l’ouvrage renferme quelques pépites. La volonté d’offrir un cadre réflexif à des travaux empiriques récents consacrés aux restructurations ne débouche pas sur un renouvellement significatif des problématiques exposées et pas davantage (si l’on excepte un cas) sur la définition de nouvelles orientations de recherche. Gageons toutefois qu’il aura une suite car l’IAE (Institut d'Administration des Entreprises) de Paris vient de créer une chaire de recherche consacrée aux restructurations (ou aux mutations économiques), en partenariat avec plusieurs grandes entreprises, dont la direction scientifique a été confiée à José Allouche et Géraldine Schmidt