Le célèbre anthropologue, qui aurait prévu la crise, donne quelques clés d'interprétations.

CETTE CRITIQUE DE NONFICTION.FR EST PUBLIÉE EN COLLABORATION AVEC LE MAGAZINE VENDREDI.

 

 

Paul Jorion est un auteur qui prend des risques. Ainsi de son dernier ouvrage, dont vous pouvez découvrir aujourd’hui des extraits sur nonfiction et dans Vendredi : quoi de plus périlleux, et l’auteur le reconnaît lui-même, que de tenter une synthèse d’un phénomène qui est sans doute très loin d’avoir déroulé toute la chaîne de ses conséquences ? Et ceci d’autant plus, qu’en bon anthropologue, il voit dans la crise financière l’occasion de "poser à nouveau les questions premières : qu’est-ce que la richesse ? Qu’est-ce que la monnaie ? (…) Comment redistribuer la richesse autrement ? La monnaie est-elle créée de la manière qui convient ?"   .

Là réside la première source d’intérêt de l’ouvrage : proposer une lecture à distance et situer dans l’histoire du capitalisme les événements actuels, au risque de s’éloigner du langage courant de l’analyse économique et de s’exposer aux railleries de spécialistes trop contents de détourner d’eux les quolibets. Cette méthode peut énerver, mais elle a des réalisations heureuses. La crise actuelle n’est ni celle de 1929 ni à l’inverse un long processus de dégradation. Son originalité réside dans la présence et l’articulation de deux phases : la crise des subprimes depuis février 2007 et la phase de tarissement généralisé du crédit.


Dans un premier temps, l’on assiste à une "drôle de crise" : alors que tous les acteurs, et particulièrement les régulateurs savent pertinemment que le système vacille, ils s’efforcent d’en minimiser l’ampleur et répugnent aux moyens exceptionnels appelés par les temps. Cette structure aux apparences faussement prudentes s’autocensure dans son traitement de la crise pour le seul gain de repousser l’échéance. Cela revient à regarder les bras croisés un vase en cristal en équilibre instable sur le bord d’une table. Jusque là, tout va bien… Mais s’il y a deux phases dans l’analyse de Jorion, c’est parce que la transition entre le déséquilibre sur le marché immobilier américain et l’effondrement du système financier n’est pas de nature continue mais catastrophique. La crise immobilière a mené à un resserrement des conditions du crédit, c'est-à-dire à une suspicion croissante sur la solvabilité des contreparties dans les transactions financières ; dans ce processus, il existe un point où la suspicion l’emporte sur la confiance, et parfois sur les notations des agences financières – qui ne sont pas les dernières à en prendre pour leur grade – : le portefeuille de l’institution financière devient alors "illiquide" – en gros, les acheteurs fuient et la valeur de marché s’écroule, et avec elle la valeur de l’action.

La présentation de Jorion ne recevra sûrement pas l’approbation unanime des économistes – qui ne sont de toutes façons pas ses pairs – mais elle a le mérite de recéler, au sein d’une théorisation globale et par ailleurs fort stimulante, qui interroge la notion de "confiance des marchés" ou la place de la spéculation, un récit de la crise particulièrement instructif

 

* À lire également sur nonfiction.fr : les "bonnes feuilles" du livre de Paul Jorion (chapitre 3, consacré aux États-Unis).