Radioscopie de la colonne vertébrale de Nicolas Sarkozy, de l'homme que l'on surnomme le vice-président.

Ce serait sans doute par la dernière phrase du livre qu’il conviendrait d’aborder l’ouvrage : le secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant ne serait pas "l’homme qui murmure à l’oreille de Sarkozy", contrairement à ce que le sous-titre laisse entendre. Il serait, en réalité, celui qui articule "clairement la mise en œuvre d’une politique de droite" qui, jamais, ne tombe "dans l’oreille d’un sourd".


Car cet essai sur Claude Guéant n’est pas une simple description de sa vie : il est une véritable démonstration du rôle prépondérant que tient celui que l’on nomme "le premier préfet de France" dans la politique du pays. En cela, les deux auteurs du livre, Christian Duplan et Bernard Pellegrin, journaliste à Marianne pour le premier, à l’AFP pour le second, parviennent à démontrer de manière objective l’influence que joue Claude Guéant dans la sphère élyséenne. Or, cette objectivité de la part des deux confrères journalistes vis-à-vis de celui qui se fait surnommer tantôt Richelieu tantôt Mazarin, on pouvait en douter de prime abord. Et pourtant, aucune véritable critique négative, aucun reproche ne transparaît à la lecture de cet ouvrage sur son personnage principal : Claude Guéant est bel et bien un "homme à part", "un homme étrange", un "Monsieur zéro défaut". D’où d’ailleurs la difficulté toute particulière qu’ont eue les auteurs du livre à l’écrire : faire un portrait sur Guéant relevait du véritable défi. Le préfet de Nicolas Sarkozy ne se confie pas. Sa discrétion appartient à sa légende, nous préviennent les deux auteurs. Bref, un "mauvais client" pour les journalistes. Et si Claude Guéant a accepté de se confier à Christian Duplan et Bernard Pellegrin, c’est à la condition qu’ils n’abordent pas sa vie privée.


Le livre n’est donc pas celui du "scoop" ni du "potin", ce qui, d’une part, tranche singulièrement avec les autres essais ou biographies du même rang sur les hommes politiques et, d’autre part, en renforce l’attrait et l’objectivité.


L’ouvrage est à trois dimensions. Il aborde la vie et le parcours de Claude Guéant, de son enfance jusqu’à sa sortie de l’ENA et ses premiers postes avant "la rencontre" avec Nicolas Sarkozy. Il raconte, bien sûr, le rôle déterminant qu’a joué Claude Guéant dans la victoire du 6 mai 2007 et celui qu’il tient aujourd’hui à l’Élysée. Enfin, il met en exergue la loi des contraires entre le président de la République et son secrétaire général.

 


Guéant, "l’homme qui est arrivé, pas parvenu".


Né à Vimy en 1945, Claude Guéant est un homme du Nord, du monde ouvrier et minier. Même si pour lui, la langue "ch’ti n’a pas de gueule", il ne renie pas ses origines. Ce sont elles qui ont forgé Guéant et ses valeurs : respect, solidarité, fierté du travail ; "refrain que mettra en musique Sarkozy pendant la campagne électorale".


Issu d’une famille d’instituteurs, Claude Guéant grandit dans un univers solidaire, emprunt de socialisme municipal. Son bac en poche, il part un an aux États-Unis grâce à une bourse destinée aux élèves méritants, puis il entre à Sciences Po, "une école assez mystérieuse, lointaine, parisienne", confie le protagoniste du livre. Enfin, parcours classique dira-t-on : il intègre l’ENA, où il accomplit son stage ouvrier comme mineur, véritable retour aux sources, signe d’un enracinement dans son histoire.


À sa sortie de l’ENA, promotion Thomas More (1977), il choisit la préfectorale contre la diplomatie ou le trésor. Un choix qui étonnera plus d’un de ses camarades de promo, dont Jean-Paul Huchon pour qui "choisir la préfectorale après 1968, dans notre promotion, c’était presque honteux. Un truc pour les derniers du classement, ou alors, il fallait vraiment le vouloir".

 

 


Claude Guéant est donc un enfant de la méritocratie, de l’ascenseur social républicain. C’est un homme qui "est arrivé, pas parvenu". C’est un solitaire qui s’est construit d’abord par ses racines populaires, ensuite par son travail et ses efforts. Voilà pourquoi il se prononce pour le maintien de l’ENA, "une  vraie école républicaine qui assure la réussite de ceux qui n’auraient pas pu faire autrement", Guéant compris.

 


"Je suppose que je dois venir avec ma valise ?"


Cette question, c’est celle que pose Claude Guéant à Brice Hortefeux en 2002 lorsqu’il lui demande de venir rencontrer Nicolas Sarkozy qui en fera son directeur de cabinet au ministère de l’Intérieur. Une question qui à elle seule résume le personnage Guéant : un serviteur de l’État, un haut fonctionnaire on ne peut plus disponible. Toute proportion gardée, on pourrait d’ailleurs s’aventurer à noter les traits de ressemblance avec un autre haut fonctionnaire qui évolue dans la sphère sarkozyste, le secrétaire d’État en charge des affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet. Deux hommes au sens du devoir et du service de l’État irréprochable, dont l’entrée en politique relève davantage de l’anomalie que d’une véritable ambition personnelle. Deux hommes qui ont en commun "une capacité à aborder de manière technique les problèmes politiques et de manière politique les problèmes techniques", pour reprendre l’heureuse formule de Pierre Muller   .


Non, Guéant n’est pas un politique : sa seule ambition est celle de servir l’État. Mais encore faut-il s’entendre sur le sens du mot  "politique". Il est clair que Guéant n’est pas un adepte de Machiavel. Il avoue lui-même qu’il n’a pas "la rouerie, le sens de manœuvre, la capacité spontanée à monter des coups en bande", ce que plusieurs conseillers de l’Élysée confirment par ailleurs. En revanche, il embrasse très certainement une conception plus noble de la politique, celle pour qui "la politique, c’est faire", la politique en tant que "projet pour la France".


Mais il ne faut pas s’y tromper : le secrétaire général est devenu, conséquemment au renforcement du pouvoir présidentiel sous l’ère Sarkozy, un véritable "Premier ministre bis". En effet, traditionnellement, le secrétaire général de l’Élysée "doit de fait composer, outre le directeur de cabinet, avec d’autres personnalités importantes de l’entourage présidentiel" analyse Olivier Schrameck   . Toutefois, l’ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin (1997-2002) avait vu juste en affirmant que l’influence du secrétaire général de l’Élysée est en relation directe avec la vigueur de sa personnalité et les rapports personnels qui le lient au chef de l’État. Il avait également prédit que l’institution du quinquennat allait nécessairement resserrer le contrôle de l’Élysée sur Matignon. Deux ingrédients qui font aujourd’hui la recette du pouvoir de Claude Guéant, "l’homme le plus puissant de France" affichait Le Point en une, quelques jours après l’élection de Nicolas Sarkozy. Un pouvoir qui n’est pas sans susciter de nombreuses jalousies au sein du parti de la majorité ou du Château, comme l’expliquent Christian Duplan et Bernard Pellegrin au fil de l’ouvrage.

 


La loi des contraires


Pour comprendre les relations qui unissent Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, et de manière plus générale, un homme politique et son conseiller, l’ouvrage de Bruno Le Maire Des hommes d’État (Grasset, 2007) est particulièrement éclairant. Alors que le premier est constamment placé sous les feux de la rampe, les seconds doivent demeurer soigneusement reclus dans l’ombre. Cela ne sollicite pas, évidemment, le même style psychologique. Et pour que le couple fonctionne, il ne faut pas mélanger les genres.

 

 

Mais, pour l’ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin, "un vrai collaborateur, c’est celui qui s’oppose", même si cette prise d’autonomie se heurte rapidement au "défaut de légitimité de celui qui soutient". Et les conseillers élyséens de témoigner que Claude Guéant est un des rares hommes à pouvoir tout dire au président, à sa manière bien sûr. Il est aussi celui qui tente d’éloigner les oiseaux de mauvais augure car, prévient Bruno Le Maire, à force de passer des heures et des heures avec l’homme politique que l’on conseille, on passe très vite à la consolation, au "ce n’est pas grave" qui se répète au gré des couacs, des échecs et des ennuis.


Chacun son rôle donc, mais également chacun son caractère. Car si le tandem Sarkozy Guéant fonctionne aussi bien, c’est que les deux personnages sont radicalement différents, ou presque : le politique exceptionnel d’un côté, le "technicien hors pair" aux capacités unanimement reconnues de l’autre. Le premier préfet de France est "la colonne vertébrale du Président, son bâton de marche, sa boussole". Et Nicolas Sarkozy d’affirmer : "Guéant met en musique ma politique. Je perce le trou, il taille le tunnel". Il y a bel et bien une admiration, une reconnaissance réciproque entre les deux hommes pour leurs qualités respectives.


Les deux hommes se construisent ensemble, leur complémentarité est finalement la clef de voute de ce duo élyséen