Une anthologie de textes consacrés à la démocratisation de la culture en France.

La revue Problèmes politiques et sociaux a l’excellente idée de publier une anthologie problématisée des textes consacrés à la question de la démocratisation culturelle, même si l’on aurait pu espérer des apports étrangers plus importants. Ce sujet fait l’objet d’un débat permanent dans le cercle des initiés et des politiques, sans toutefois trouver une issue opérationnelle véritablement convaincante, si l’on en juge par les résultats des enquêtes successives sur les pratiques culturelles des Français qui nous montrent que la base sociologique du public de la culture évolue peu, concernant prioritairement les catégories de la population les plus diplômées.

L’objectif de démocratisation culturelle constitue l’une des racines essentielles de la politique culturelle française. Il remonte aux idéaux théorisés par Jean-Jacques Rousseau et l’Encyclopédie, que reprend à son compte la Révolution Française, pour être ensuite reformulé par le Front Populaire. Il a même droit à une consécration constitutionnelle puisque le préambule de la Constitution de 1946 dit que "la Nation doit donner accès à l’éducation et à la culture". Malraux s’inscrira en partie dans cet héritage, tout en privilégiant une approche très personnelle du rapport avec l’art. Le discours sur la démocratisation a depuis lors constitué la principale légitimation de la politique culturelle publique, mais l’autre versant de la politique culturelle, hérité du mécénat royal de l’Ancien Régime, a fortement orienté les actes politiques depuis l’après-guerre.




Une présence permanente dans les discours politiques


L’ouvrage rassemble les textes en trois parties : une partie historique qui retrace la genèse de cet objectif politique, une deuxième consacrée aux moyens et aux résultats, et une troisième et dernière partie qui se penche sur les nouveaux enjeux.
La Révolution Française consacre les arts et la culture comme un bien commun nécessaire pour structurer une conscience nationale et citoyenne. Cette idée constituera le fondement de l‘intervention de l‘État.

La troisième République s’inscrit dans la continuité, en incluant au sein de l’instruction publique l’enseignement des arts (particulièrement le chant et le dessin). On notera le très beau texte de George Clémenceau sur "Les musées du soir pour les travailleurs" qui aurait pu être écrit à notre époque, tant les questions qu’il pose n’ont pas été résolues. L’éducation populaire et le mouvement associatif deviennent le fer de lance de la démocratisation en 1936, avec des expériences fondatrices qui se prolongeront après la seconde guerre mondiale. André Malraux commettra une erreur conceptuelle majeure sur la question de la démocratisation : pour lui, l’accès à l’art relève d’un "choc esthétique" indépendant d’une initiation approfondie et de la transmission d‘un savoir. C’est pour cette raison qu’il négligera l’éducation aux arts à l’école.

L’époque Lang privilégie le "tout culturel" en reconnaissant de nouveaux secteurs (mode, gastronomie, cultures émergentes, etc.). Catherine Trautmann a placé au cœur de son action la question de la lutte contre les inégalités d’accès à l’art et à la culture, en reformulant la notion de service public culturel à travers des chartes, et en cherchant pour la première fois dans l’histoire du ministère de la culture à s’appuyer sur les fédérations d’éducation populaire. Ses orientations susciteront une fronde des directeurs des grandes institutions, notamment ceux du théâtre public, qui considéraient les choix politiques de Mme Trautmann comme une menace pour l’exercice de leur métier.



Faire évoluer le modèle culturel français


Concernant la question des moyens, la politique culturelle étatique, depuis la fin de la guerre – hormis l’épisode Vilar au TNP -, a privilégié un maillage du territoire en équipements et en offre artistique qui fait de la France l‘un des pays les mieux dotés du monde. Les structures se sont également diversifiées, avec l’apparition de "scènes de musiques actuelles" et de lieux pour les arts de la rue, le cirque, la mode...

Les médiathèques se sont démultipliées sur l’ensemble du territoire. L’éducation artistique n’a pas connu d’évolution significative, sauf au début des années 2000 avec le plan Lang-Tasca, abandonné ensuite par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Depuis la dernière campagne présidentielle, le débat sur la gratuité a monopolisé l’attention, alors que plusieurs études montrent clairement son inefficacité à conquérir de nouveaux publics. Les technologies de l’information et de la communication, contrairement à certaines croyances un peu béates, ne constituent pas en soi un levier de démocratisation : elles offrent tout autant des potentialités d’enrichissement, de transmission et de pluralisme que de nouveaux risques de standardisation des pratiques. Elles renvoient également à une exigence accrue d’éducation qui devrait permettre à chacun de faire le tri dans une offre surabondante.

Les débats récents laissent penser qu’un consensus politique émerge autour des leviers les plus efficaces pour élargir les publics, notamment sur la question de l’éducation aux arts à l’école, mais hélas, les actes politiques significatifs sur ce dossier se font toujours attendre.

Les enseignements que nous pouvons tirer de la lecture de cet ensemble de textes sont multiples. En premier lieux, l’approche du problème de la démocratisation doit être pragmatique, en tenant compte des évolutions de la société contemporaine, qui se caractérise par l’affaiblissement de l’autorité des grandes institutions, la fragmentation du corps social, ou l’irruption du numérique. Ces évolutions modifient profondément les conditions d’accès à l’art et à la culture. Ensuite, le modèle d’une politique culturelle essentiellement fondée sur l’accroissement de l’offre artistique censée élargir mécaniquement la demande doit être reconsidéré pour évoluer vers un modèle qui se concentre sur les enjeux de médiation - en démultipliant les modalités d’action - et d’éducation aux arts et qui prend en compte la diversité de la population, en s‘adressant prioritairement à ceux qui ont le plus faible capital culturel. Cet effort exigera des réorientations politiques et budgétaires conséquentes, pour repenser structurellement la fonction des institutions culturelles et mettre en œuvre de nouvelles politiques transversales. Cela supposera un très fort volontarisme de la part des élus et acteurs culturels