Deux articles parus dans l’édition du Monde du 19 septembre 2008 offrent une vue décalée sur la crise financière actuelle par rapport à la vision du tsunami présentée par Jacques Attali il y a quelques jours.

 

Microéconomie vs macroéconomie

Pour François David, président de Coface   , la crise financière n’est ni plus ni moins qu'une crise comme les autres dont on tirera les leçons. Dans son article intitulé "Non, il n’y aura pas de tsunami économique", il critique la fiabilité des études macroéconomiques pour vanter les mérites de l’approche microéconomique, notamment l’analyse de l’évolution des défauts de paiement des entreprises. Selon lui, le ralentissement économique se signale par une augmentation de l’ordre de 30 % de la courbe des incidents de paiements des grands pays. Les bulles financières seraient les produits d’une baisse de vigilance des consommateurs, des entreprises et des prêteurs, baisse qui se reproduirait cycliquement, tous les cinq à huit ans.

La difficulté particulière de la crise actuelle tient à ce qu’elle se nourrit de trois chocs concomitants : il s'agit d'une triple crise bancaire, immobilière et inflationniste, alors que la crise de 2001 se limitait à une bulle technologique. Toutefois, François David tempère fortement la vision pessimiste qui semble actuellement gangner du terrain, en évoquant deux facteurs : d’une part, la bonne situation financière des entreprises, mieux armées face à la pénurie du crédit, et d’autre part, le poids des pays émergents dans l’économie mondiale, qui a doublé depuis 2001.

 

Hégémonie des mathématiques

Christian Walter, professeur-associé à Sciences-Po et gérant associé de H et W Conseils, souligne, dans son article "Finance, maths et humanités", la domination de la théorie financière mathématisée. La modélisation mathématique fait figure de dogme pour la finance mondiale et s'impose à la société. Selon la terminologie employée par Bruno Latour et Michel Callon   , Christian Walter parle d’encastrement de la finance professionnelle contemporaine dans la modélisation mathématique. Il s’agit, en outre, d’un encastrement cognitif : le langage mathématique pénètre les règlementations et les normes comptables internationales. Bref, le système entier serait basé sur un modèle mathématique, dont personne ne s’interroge sur sa validité.

L’économiste prend l’exemple du dédoublement artificiel du marché entre sa "partie fondamentale" et sa "partie spéculative". Déplorant l’impasse du débat opposant irréductiblement les partisans et les adversaires du marché, l’auteur critique la division conceptuelle actuelle datant de la première moitié du XIXe siècle. La critique ne porte pas in fine sur l’excès de la mathématisation, mais sur le défaut de remise en cause des modèles mathématiques actuels. Christian Walter conclut par l’actualité de la notion d’humanités scientifiques en finance

 

* François David, "Non, il n’y aura pas de tsunami économique", Le Monde, 19.09.2008

* Christian Walter, "Finance, maths et humanités", Le Monde, 19.09.2008

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- le dossier intitulé "Éclairages sur la crise financière"

- l'article d'Éric Monnet, "premiers regards sur la crise financière", qui dresse un panorama des origines de la crise, de ses développements et des solutions envisagées par les experts. Il fournit également des liens utiles pour approfondir la question.

- l'article d'Éric Monnet, "Faut-il brûler Alan Greenspan ?", qui revient sur la question des responsabilités de l'ancien président du conseil de la Banque centrale américaine.

- la critique du livre de Jérôme Glachant, Jean-Hervé Lorenzi, Philippe Trainar (dir.), Private equity et capitalisme français (La Documentation française), par Luc Goupil.

 - la critique du livre de Solveig Godeluck et Philippe Escande, Les pirates du capitalisme (Albin Michel), par Luc Goupil.

 - la critique du livre d'Augustin Landier et David Thesmar, Le grand méchant marché (Flammarion), par Patrick Cotelette.

- la critique du livre d'Olivier Godechot, Working Rich. Salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière (La découverte), par Luc Goupil.

- la critique du livre de Jacques Hamon, Bertrand Jacquillat et Christian Saint-Etienne, Consolidation mondiale des bourses (Conseil d'Analyse Economique), par Mahdi Ben Jelloul.

- la critique de l'ouvrage collectif Comprendre la finance contemporaine (La découverte), par Jérémie Cohen-Setton.