Le think-tank "Fondation pour l’Innovation politique" analyse l’échec de l’Etat-providence et promeut la "réforme" dans ce texte cependant trop vague.

"Sous l'apparence de diagnostics reposant sur des éléments comptables ou démographiques avérés, [la vision dominante] impose l'évidence de choix politiques. Loin d'être un pur discours descriptif, elle est directement orientée vers l'action". Cette phrase de Julien Duval   s'applique parfaitement au rapport remis par Philippe Brongniart, Arnaud Mercier et Anna Stellinger pour le think-tank "Fondation pour l'innovation politique" et intitulé L'État-Providence face à la mutation des risques sociaux.

À dire vrai, on ne peut guère reprocher à une fondation politique de proposer un projet politique de réforme. Comme le rappelle François Ewald, Président du Conseil scientifique et d'évaluation de cet organisme, dans une préface qui semble rendre davantage hommage à son auteur qu'au rapport, l'étude "dresse le constat que derrière le débat de surface sur de prétendues dérives libérales s'est poursuivi un processus autrement profond de publicisation des risques (…), décrit les tâches qui sont celles d'un État gestionnaire de risques (…), principe d'une réforme qui devrait permettre de passer d'un État brouillon et dispendieux à un 'État social actif' [et] dessine les contours du projet politique qu'un tel État pourrait se donner à travers la protection de ses citoyens"   . C'est sur ces trois points qu'il nous faut revenir pour voir si le rapport répond bien au problème qu'il se pose, qui est de s'interroger "sur la capacité de l'État à être un bon gestionnaire de risques"   .


Un "constat" élaboré à l'aune d'un idéal à construire

Pour les auteurs du rapport, cette question revient à savoir si l'État peut "aider sans créer un lien de dépendance"   . Leur analyse de la gestion contemporaine des risques par l'État se fait alors à cette aune et ne manque pas de tomber dans le discours alarmiste et faiblement argumenté, sans éviter les poncifs sur l'assistanat et la prédominance du rôle d'un État déconnecté des réalités économiques.   
D'une certaine manière, ces phrases seraient acceptables si elles venaient en conclusion d'un travail pleinement argumenté. Mais elles apparaissent au début du texte et les arguments qui suivent ne sont guère convaincants. Pour les auteurs, l'un des problèmes est en effet que la protection sociale est nécessairement synonyme de déficits. "Dès l'origine, les régimes sociaux ont été marqués par des déficits chroniques"   . Il est dès lors contradictoire d'ajouter   que ce n'est qu'en 2005 que les quatre branches du régime de base de la Sécurité Sociale ont été "pour la première fois" simultanément déficitaires. D'autres problèmes sont évoqués par les auteurs : par exemple, les insuffisances des systèmes d'assurances familiales face aux mutations sociales de la famille (crise de la famille et du mariage) ou l’existence de trappes à inactivité associées aux aides sociales contre la pauvreté. À nouveau, le propos est ici alarmiste alors même qu'aucune étude objective sur la "crise de la famille" ou les trappes à inactivité n'est citée.


L'idéal de l'État social actif
 
Après une partie "descriptive" déjà mêlée de normativité, les auteurs s'attachent alors à décrire leur modèle idéal d'État gestionnaire de risques, celui que l'on nomme alternativement "État responsabilisant" (Neil Gilbert), "État social actif" (Frank Vandenbroucke) ou "État social positif" (Anthony Giddens). Le spectre de l'activation n’est pas loin. En effet,  les quatre objectifs de cet État   sont :
1° de créer des allocations "de façon à ce que le filet de protection sociale ne constitue plus un piège à l'emploi"
2° d'appuyer ces allocations par des "investissements, par exemple dans la formation et l'enseignement"
3° de "faire du sur-mesure afin de réaliser ses objectifs"
4° de "déléguer" au lieu de diriger les individus et les organisations.
Le rapport rejoint ici le chœur des thuriféraires qui prônent la mutation de l'État-Providence pour ce nouveau modèle "d'État social actif" sans en interroger les avantages et les inconvénients.


De l'idéal à sa réalisation en demie teinte
 
Dans un dernier temps, le rapport se contente de dresser les manières d'obtenir un État social actif à la française. Plutôt que d'entrer dans le détail des mesures proposées, il est simplement intéressant de remarquer que les auteurs voient dans quelques initiatives gouvernementales récentes des embryons de réformes. Ils citent alors les exemples de la constitution du Conseil d'Orientation des Retraites, de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, de l'Agence Nouvelle des Solidarités Actives et de la Prestation d'Accueil du Jeune Enfant (PAJE). Le comble est alors atteint dans ces exemples puisque les auteurs louent ces dispositifs uniquement pour leur nouveauté sans citer une seule étude portant sur leur fonctionnement effectif ou sur leur possible efficacité. Ou plutôt, la seule étude citée portant sur la PAJE montre que ce dispositif a "représenté un pas en arrière en ce qui concerne l'insertion des femmes sur le marché du travail"   alors qu'un des objectifs du dispositif était pourtant d'assurer "la liberté de choix des parents […] relatif au choix du maintien ou non de l'activité professionnelle de la mère"   . Cet exemple suffit à montrer que la voie de réforme proposée par les auteurs n’est ni évidente, ni nécessaire, malgré les affirmations répétées tout au long du texte   .


Finalement, ce rapport constitue un bon rappel de la nécessité constante de s'interroger sur les formes des mécanismes d'assistance et d'assurance sociales qui peuvent exister dans nos sociétés contemporaines mais ne saurait pleinement guider la réflexion et encore moins les réformes à venir. Enfin espérons-le…


*Vous pouvez télécharger librement ce rapport ici