La crise de la social-démocratie est patente depuis de nombreuses années, du fait de la difficulté qu'a la gauche à trouver des voies qui lui soient propres dans un monde globalisé où l'économie de marché règne en maître. Faut-il s'adapter au risque de se trahir ou bien rester fidèle à son héritage au risque de paraître désuet ? Ce dilemne reste dominant, en France où il n'a jamais été véritablement été tranché, mais aussi dans d'autres pays européens, comme en Allemagne, où après les années Schröder et celles de coalition avec le CDU d'Angela Merkel, le SPD souhaite revenir vers une base plus sociale en n'excluant plus totalement un rapprochement avec Die Linke.

À lire l'éditorialiste du Guardian, Martin Kettle, il semblerait que l'origine de ce questionnement remonte à 1968, avec la répression du Printemps de Prague, et que le tort de la gauche est de ne pas alors avoir su se rendre compte que cet événement rendait les anciennes données politiques illisibles et nécessitait que l'on trace de nouvelles voies. Alors que la Russie procède à l'invasion de la Géorgie, nous ne devons pas nous contenter de souligner la signification géostratégique du 21 août 1968 et la répétition du réveil des ambitions russes, nous devons également percevoir la portée politique de cette date.

S'appuyant sur les analyses de Tony Judt, Martin Kettle rappelle que les réformes initiées par Dubček mettaient réellement en jeu la possibilité d'une troisième voie alliant projets socialistes, visées collectives avec la démocratie et les libertés individuelles : le "socialisme à visage humain" n'était pas un simple effet de rhétorique. L'échec de cette tentative avec l'arrivée des chars russes dans la capitale tchèque signifia donc, pour l'éditorialiste, "la confirmation de la sentence de mort du communisme" : "la génération qui protesta en 1968 fut celle qui renversa le système soviétique 21 ans plus tard".

L'erreur de la gauche est, selon Martin Kettle, de ne pas avoir su tenir compte de cette "éclipse du socialisme" et de ne pas avoir su faire face à ce qui se présentait alors à elle comme un défi : s'éloigner de l'héritage de la Révolution française, et non pas seulement de sa variante soviétique, pour proposer un programme progressiste moderne, conscient de la réalité de l'histoire et à même d'arracher un large soutien de la part de la population.

 

Martin Kettle, "40 years on, the left is yet to grasp the eclipse of socialism", The Guardian, 22.08.08