"Ne pas gâcher cette force". Tel est le souhait émis par Ezio Mauro, directeur du journal (de gauche) La Repubblica, dans son éditorial du 15 octobre. La veille, près de trois millions et demi de citoyens italiens avaient voté, lors de primaires, pour désigner le leader du futur Parti démocrate (PD), la nouvelle formation de centre-gauche, née de la fusion des Démocrates de gauche, (DS, héritiers du Parti communiste italien) et de la Marguerite (DL, d'inspiration démocrate-chrétienne). Le très populaire maire de Rome, Walter Veltroni, l'a emporté à une majorité écrasante (75,6 % des voix).

Le sentiment, décrit tout au long de l’éditorial, d’une gauche nouvelle portée par un véritable soutien populaire n’est pas un fait inédit en Italie. En octobre 2005, quatre millions de militants avaient participé aux primaires qui désignèrent, à une très large majorité, le leader de l’opposition Romano Prodi candidat du centre-gauche pour les futures élections législatives. "Ce n’est pas [cette fois] un vote pour un Premier ministre, il ne concerne pas toute une coalition, et il ne représente pas une réaction contre Berlusconi" explique Ezio Auro. Néanmoins, les mêmes termes sont employés en 2005 et 2007 : "espoir", "renouveau", "modernité". L’expérience de 2005 a montré que ces engouements populaires ne tenaient pas forcément leurs promesses : malmené au cours des législatives de 2006, Romano Prodi n’avait remporté la victoire que d'une très courte majorité. La suite s’est avérée désastreuse : coincé au sein d’une coalition imprévisible, un premier gouvernement a chuté. Le deuxième ne tient aujourd’hui qu'à un fil : le "professore" Prodi est rapidement devenu très impopulaire.

Pourtant, selon Ezio Mauro, les résultats du 14 octobre "disent quelque chose d’inédit et d’imprévu sur l’Italie d’aujourd’hui, quelque chose qui va à contre-courant et qui mérite donc d’être observé avec attention". Il y a d’abord l’ouverture d’un "espace pour une participation nouvelle au débat public – nouvelle concernant les personnes, le langage, les rites, les contenus. Cet espace est occupé, élargi, presque revendiqué par les citoyens qui le rendent symbolique et donc immédiatement significatif du point de vue politique et même culturel". La description rappelle la "démocratie participative", vision de la société prisée par les gauches européennes en quête de rénovation. L’expérience menée par Ségolène Royal durant l'élection présidentielle française n’a-t-elle pas pourtant montré l’échec d’une telle conception de la vie politique ? Pour certains   , à l’époque, l’idée de la démocratie participative n’avait pas réellement été menée jusqu’à son terme, toute entravée qu'elle était par les "éléphants". L’apparition d’un parti neuf et moderne pourrait par conséquent aider la gauche de W. Veltroni à parvenir à ses fins. Des similitudes demeurent cependant entre les deux situations : "Même la compétition très dure [rencontrée par Veltroni] avec Rosy Bindi [actuel Ministre des politiques pour la famille, ndlr] et la lutte ouverte avec Enrico Letta [secrétaire à la présidence du Conseil des ministres du gouvernement, ndlr], devant les électeurs, ont eu le son de la nouveauté" se félicite Mauro, qui y voit un élément de plus dans "cette ultime tentative de réinvention de la gauche". Les débats entre Royal, Dominique Strauss-Kahn, et Laurent Fabius étaient eux aussi, fin 2006, apparus comme un signe de modernité et de démocratie… avant d’apparaître comme celui d’une fracture fatale à l’intérieur du Parti socialiste, affaiblissant la campagne de la candidate, pourtant triomphalement choisie, comme Veltroni, par les militants.

Le principal obstacle du Parti Démocrate pourrait donc là encore venir… de la gauche. Plus que jamais Walter Veltroni se pose en rival du président du Conseil Romano Prodi. Le maire de Rome répète que son parti sera un "facteur de stabilité pour le gouvernement". La Marguerite et les Démocrates de gauche étaient néanmoins les deux principaux partis de la majorité. W. Veltroni pourrait être donc celui qui provoquera la chute définitive du gouvernement de coalition de R. Prodi, dont le brûlant projet de loi réformant le système des pensions et de protection sociale est largement contesté. Les débats entre les deux hommes ont, au cours de la campagne pour les primaires, concerné l’assainissement de la dette ou la réduction du nombre des ministres. Mais W. Veltroni veut-il aller jusque la rupture? S’il ne le faisait pas, ses détracteurs pourraient associer son parti aux décisions du gouvernement en place. Les promesses d’une gauche moderne pourraient, comme dans le cas français, être balayées par les ombres du passé, celles qui, selon E. Mauro, provoquent le "dégoût de la politique, ou au moins le désenchantement et l’éloignement."

L’avenir de la nouvelle gauche italienne est donc entre les mains de Walter Veltroni, qui peut s'appuyer sur une très forte popularité. Il représente, pour les Italiens comme Ezio Mauro, "une gauche capable de considérer les raisons des autres, un professionnalisme avec des touches efficaces de dilettantisme, donc déchiffrable et non distant, un langage ouvert et des codes nouveaux (…) une propension déclarée à l’innovation". A l’heure où les gauches européennes se trouvent en difficulté, nul doute que l’évolution du nouveau Parti Démocrate italien sera suivie avec une très grande attention par tout le continent. Le parti socialiste français sera à cette occasion aux premières loges : le maire de Paris, Bertrand Delanoë, considéré par certains comme le futur leader de la gauche, présente, en effet, de nombreuses similitudes avec le maire de Rome qui le considère lui-même comme l’un de ses modèles.