L'icône du rock Marianne Faithfull revient sur sa vie, ses rencontres, et détruit sa légende 'sex, drugs and rock'n'roll'. Vision d'artiste arrivée à maturité.

L’histoire du rock a donné naissance à assez peu de figures féminines : il faut citer Janis Joplin, Nico, Patti Smith et plus récemment PJ Harvey. Marianne Faithfull fait partie de cette galerie d’icônes. Chanteuse de grande classe, elle est parvenue à affirmer une personnalité artistique singulière marquée par une activité multiforme au centre de laquelle le chant a pris la place centrale. Ses expériences théâtrales, en jouant notamment Shakespeare et Tchekhov, travaillant avec Bob Wilson dans The Black Rider, mais également le cinéma, dès les années soixante   ont enrichi sa sensibilité. On connaît le destin ahurissant de Faithfull : fille d’un espion britannique auteur d’une thèse sur Boccace et Pétrarque et d’une danseuse autrichienne nièce de Leopold de Sacher Masoch, sa stupéfiante beauté et sa grâce retiennent l’attention du manager des Rolling Stones. Elle est propulsée à dix-sept ans à la tête du Swinging London et des tabloïds à cause de son idylle douloureuse avec Mick Jagger. Elle connaîtra ensuite les affres de l’héroïne dans les rues de Londres, mais qui, dit-elle, lui feront approcher la bonté humaine. Chantant au départ des bluettes charmantes avec une voix d’ange (mais aussi le sublime "As Tears Go By" écrit pour elle par Mick Jagger et Keith Richards en 1964), elle a peu à peu mûrit au fil des épreuves de la vie, sa voix se muant en magnifique complainte grave et rauque à forte charge émotionnelle.

Après avoir publié une remarquable autobiographie (Faithfull : une vie en 1994), elle prend à nouveau la plume pour compléter cette première publication. Avec un mélange de raffinement tout britannique et de belle gouaille rock, elle nous propose des fragments de vie, des portraits et des exercices d’admiration subtils pour les personnalités qui l’ont marquée et lui ont permis de s’émanciper de sa mythologie des sixties. Façonnée par l’héritage culturel de ses parents, Faithfull a éprouvé un attrait constant pour les artistes, les poètes et les écrivains, mais aussi les peintres et les cinéastes. Brion Gysin, Francis Bacon, Kenneth Anger ou Roman Polanski, font des apparitions récurrentes. Elle dépeint avec tendresse et un brin de nostalgie la bohème un peu déjantée des années soixante, faune excentrique s’affranchissant avec panache des conventions sociales pour inventer un art de vivre savoureux mais souvent autodestructeur. On notera le portrait magistral de Henrietta Moraes, muse de Francis Bacon et de Lucian Freud, avec qui elle partagea un petit appartement "chic" à Londres dans les années soixante-dix. Celui qu’elle fait de Caroline Blackwood, écrivaine mariée au poète Robert Lowell, est dans la même veine. Elle voue à Juliette Gréco une infinie admiration, pour son talent, sa liberté, ses mystères et aussi sa vie, véritable "conte de fée bohème".

Sa fréquentation des grandes figures de la Beat Generation donne lieu à des passages émouvants, drôles et parfois féroces consacrés à Allen Ginsberg, William Burroughs et Grégory Corso, notamment à l’occasion de sa participation à la Jack Kerouac School of Disembodied Poetics   pendant trois ans, où elle enseigna l’écriture poétique dans les années soixante-dix. Elle revient sur son interprétation des chansons de Kurt Weil et Bertolt Brecht qui a marqué un grand moment d’accomplissement artistique dans sa carrière la conduisant notamment au festival de Salzbourg. Attirance et fascination pour ce répertoire qu’elle analyse comme une volonté de renouer avec son ascendance maternelle.

Faithfull, tout au long du livre, s’attache à dégommer quelques clichés tenaces qui lui collent toujours à la peau. Les dernières pages de l’ouvrage évoquent avec lucidité son point de vue sur la drogue : elle fait un sort à l’image romantique de l’artiste tout comme au tryptique "sex, drugs and rock’n’roll" qu’elle dénonce comme une illusion infantile et complaisante : "il y a deux choses que j’ai toujours trouvées intéressantes : l’image romantique de l’artiste et son association avec la descente volontaire dans l’abîme de la drogue et les excès malheureux. Aujourd’hui, il m’arrive de penser que ce sont des couillonnades (…), je pense que c’est une conduite incroyablement immature. Si vous êtes un artiste, vous n’avez pas de temps à perdre avec ces conneries". Elle fait sienne la pensée de Flaubert qui disait que la meilleure façon de créer est de mener une vie bourgeoise. Gageons qu’avec de telles pages, elle anéantit à dessein sa propre légende, pour mieux affirmer ce qu’elle est vraiment : authentique, intense et libre.

Son évocation des années plus récentes, notamment le travail commun avec des musiciens tels que Beck ou PJ Harvey et Nick Cave - avec lesquels elle a réalisé son remarquable précédent disque, Before the Poison publié en 2005 - témoigne de la grande période de plénitude artistique qu’elle vit actuellement, fruit d’une insatiable curiosité pour les livres et les arts et d’une grande culture d’autodidacte acquise à "l’université de la vie". Les extraordinaires concerts qu’elle a pu donner récemment en France ont démontré une voix toujours aussi envoûtante, un don de soi et une présence scénique rayonnante. On ne peut qu’attendre impatiemment son nouveau disque qui sortira en septembre prochain, ses lectures des sonnets de Shakespeare dès cet été, ainsi que le "Domaine Privé" que lui consacrera la Cité de la Musique à Paris, lui offrant une carte blanche pendant une semaine en juin 2009.


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crédit photo : knitgrrldotcom / flickr.com