Six mois de présidence de l’Union européenne, ça se prépare. Et la France le fait plus que n’importe quel pays avant elle. Jean-Pierre Jouyet et Bernard Kouchner commencent à exposer leurs objectifs de la présidence française de l’Union qui commence le 1er juillet. Le ministre des Affaires étrangères, insiste sur la nécessité de corriger l’image arrogante de la France. À l’occasion du forum "le rendez-vous des européens" qui s’est tenu à Lille mercredi 7 mai, Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État aux affaires européennes, a exposé les grands axes de son action pour les 6 mois pendant lesquels la France présidera l’Union.

Pour le ministre des Affaires étrangères, la France doit être modeste dans ses relations avec les autres États et elle ne doit pas "imposer ses idées mais au contraire travailler à proposer les idées des autres ayant obtenu le consensus et l'unité nécessaires". Si ces promesses sont aussi tenues par Nicolas Sarkozy, le changement dans la forme est important. Après le large rejet de la constitution en 2005 par deux États fondateurs, le gouvernement veut rassurer, faire de la pédagogie et, selon les mots du secrétaire d’État, montrer que l’Europe est "d’abord une protection avant d’être une menace". Il égrène les objectifs de la présidence : l’écologie d’abord, l’énergie - moins de dépendance et plus de solidarité -, une plus grande sécurité dans les installations, la sécurité migratoire, la sécurité bancaire, une meilleure formation et la lutte contre la pauvreté. Il conclue : "Nous devons faire en sorte que la crise financière nous affecte moins que d’autres". L’accent est mis sur la protection et la sécurité pour rassurer.

Même si le lancement des 6 mois ne se fera que le 13 juin à Marseille, le ton est donné. Selon la stratégie du gouvernement et du président, si l’Europe fait peur, la France doit prouver que Bruxelles est un rempart contre la mondialisation. Et, si possible, montrer qu’après l’action de Nicolas Sarkozy, c’est encore plus vrai. Acte 1 : insérer dans les traités, entre autres, que l’Union protège ses citoyens, ce fut fait dans le nouveau texte aujourd’hui en cours de ratification dans les 27 États – et avec un référendum difficile en Irlande le 12 juin. Acte 2 : prouver pendant la présidence française que l’Union peut vraiment protéger ses citoyens en faisant avancer des politiques concrètes. Acte 3 : choisir un président consensuel pour le Conseil européen, dans le but d’incarner politiquement l’Union, une demande récurrente chez les citoyens. Acte 4 : asseoir les élections européennes comme un rendez-vous majeur de la politique et faire à cette occasion le bilan d’expérience en juin 2009.

Cette stratégie n’est pas dénuée de sens et elle a le mérite de se placer, au moins en apparence, dans un cadre européen. On l’a dit et répété, la France a beaucoup travaillé sur sa présidence. Mais les bonnes vieilles habitudes ont aussi la vie dure. Et on peut émettre plusieurs critiques.

D’abord, le vrai problème de ces présidences tournantes tient à leur durée. Elles prendront fin en 2009 pour le Conseil européen mais pas pour le Conseil de l’Union européenne. Les six petits mois d’une présidence doivent être l’occasion de lancer ou de poursuivre des actions qui ne s’arrêteront pas après quelques mois. Il faut éviter de trop promettre et de décevoir ensuite, c'est le lot commun de la politique. Mais avec six mois, cette règle politique est démultipliée. Le traité de Lisbonne a prévu une coordination des États en charge de la présidence, trois par trois. La France doit donc coordonner son action avec la République tchèque et la Suède, les deux États qui suivent en 2009. Et cette architecture institutionnelle ne semble pas être la priorité de gouvernement pour l’instant, en tout cas dans les prises de paroles. La présidence slovène considérait d’ailleurs que la France se mettait un peu trop en avant alors que sa présidence n’avait pas encore commencé.   

Sur le fond maintenant. Pour Jean-Pierre Jouyet, "Nous devons être au service de l’intérêt général européen". Un simple affichage ? Pas forcément, le secrétaire d’État actuel a fait la preuve de ses convictions européennes. Mais il a aussi été ébranlé par le référendum de 2005. À cette époque le rejet du texte avait été analysé comme une peur des citoyens pour une Union trop libérale et peu protectrice. "L'ambition de la présidence française, c'est le retour de la politique en Europe, qui peut très bien se faire dans le cadre d'une Europe à 27". "C'est une question de volonté" clame le secrétaire d’État. "Retour de la politique" veut dire réponse politique et pas toujours pour le meilleur. Si les français ont peur de la mondialisation, nous leur montrerons que l’Union les en protège, voilà la logique de la diplomatie française. La solution de facilité est donc de dire aux citoyens que la mondialisation est bel et bien un danger et que les politiques sont là pour la contrer. Cette approche est plutôt protectionniste et un peu paternaliste. La mondialisation est une aventure et comme toute aventure, elle comporte des risques. Mais elle est aussi un fait mondial que les six mois de présidence française n’effaceront pas. Sans oublier que les présidences qui suivent auront probablement une approche beaucoup moins "protectionniste". Si l’objectif est de faire de la politique et donc de la communication intense à destination de ceux qui restent sceptiques à l’égard de la construction européenne, pourquoi ne pas tenter de changer l’image d’une mondialisation qui est avant tout une chance, une opportunité et en tout cas notre avenir ? 

Il faudrait alors mettre l’accent sur les dossiers qui incarnent cet avenir : la recherche, l’innovation, l’éducation ou la mobilité des jeunes par exemple. Mais pour cela le budget de l’Union est insuffisant et c’est le dossier qui fâche. Il devrait être en 2009 de 134 milliards d’euros. À titre de comparaison, le budget de l’État français est de plus de 330 milliards d’euros. Les investissements dans la recherche et l’innovation restent trop faibles. L’éducation et la mobilité des jeunes ne sont pas les priorités du budget communautaire. La présidence française a décidé de mettre l’accent sur les sujets pour lesquels les États sont plus ou moins d’accords. Mais les contradictions restent importantes. La question de l’énergie en est l’exemple parfait. Alors que tout le monde s’accorde sur le fait que la sécurité énergétique et la solidarité vis-à -vis de la Russie sont des enjeux majeurs, les États font encore et toujours le contraire et sauvegardent coûte que coûte leurs champions nationaux. L’Allemagne contourne les pays baltes et la Pologne avec son gazoduc. La France refuse la fusion de Suez avec l’italien ENI et, dans le domaine aéronautique, le gouvernement italien préfère un suicide d’Alitalia plutôt que de voir la compagnie entre les mains d’Air France.

La présidence française de l’Union peut réussir. Elle devra alors avoir une vraie vision pour l’Europe, se mettre au service des européens et montrer à tous qu’elle travaille avec les autres États et la Commission, et pas pour la "grandeur" comme aiment à le dire ses détracteurs. Elle n'y parviendra que si elle a le courage d’accompagner la mondialisation sans chercher à masquer artificiellement ses effets. Elle ne créera la confiance indispensable entre les États et entre les citoyens que si elle réussit à faire passer cette conviction que l’Union est plus que jamais notre avenir.


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