Plus qu’un manuel de "leçons de flirt", un choix de textes éclairant sur les amours mythiques et réels des Grecs et Romains anciens.

Selon l’état de ses amours, l’amant peut trouver une joie maladroite à voir parmi ses contemporains un état semblable au sien, ou au contraire à s’imaginer qu’il est le seul à ressentir ce que son cœur lui dicte. S’il erre, l’âme en peine d’avoir été délaissé, il peut se réconforter à la rencontre d’une expérience semblablement malheureuse. Rien ne nous fait moins envie dans la peine que de se sentir seul au monde. Au contraire, porté par les joies de l’amour naissant, notre amant ne pourra pas concevoir qu’un bonheur similaire existe sur terre, et souvent ne le verra même pas. À moins qu’amusé, un couple d’amoureux sur un banc ne lui rappelle ses suaves heures passées en belle compagnie.
 
Séduire comme un dieu permet de vivres ces mêmes sensation de connivence, de jalousie, de mépris ou de moquerie, avec les amours des autres, mais dans l’Antiquité. Le titre est d’ailleurs trompeur, et celui qui cherchera réellement des “leçons de flirt antique", comme le mentionne le sous-titre du livre, pourra se trouver déçu, notamment s’il y cherche des recettes miracles de séduction. Mais, à défaut de leçons, il y trouvera de belles histoires et des textes qui nous mettent en communication avec les sentiments de nos prédécesseurs, plus ou moins illustres.

Si l’amant se met en condition de partir pour cette promenade antique, il pourra sourire ou verra son cœur se serrer au souvenir de passions imparfaitement oubliées et trop hâtivement rangées dans un recoin de son âme. Il pourra épancher ses sentiments blessés par une déception récente ou pourra s’enflammer et sentir son corps se dresser d’amour en découvrant les ébats de nos aînés. L’ouvrage est d’ailleurs construit de cette façon thématique et chronologique (s’il existe une notion telle que la chronologie de l’amour), et la lecture in extenso peut être aisément laissée de côté, selon la sensibilité du moment. Peut-être est-ce là ce qui a encouragé les auteurs du recueil à user de cette sémantique de guide dans le titre et dans les brefs textes de présentation des extraits et de chaque partie thématique.

Le lecteur peut être intéressé par l’aspect historique et sociologique du travail de réunion de ces textes. Il s’en trouvera rapidement guéri par l’anachronisme agaçant et accrocheur de ces petits textes introductifs, qui agissent comme des recettes, et ne semblent respecter ni les mœurs antiques, ni celles de nos contemporains. Il faut donc se mettre en situation de découverte, et non pas effectuer sans cesse des aller-retours et des comparaisons entre les époques et les sociétés, comparaisons vouées à l’échec. Il peut s’avérer plaisant de s’imaginer vivre les amours d’Enée ou de Sappho, mais la position la plus juste semble être de laisser ces amours entrer en résonance avec nos souvenirs personnels ou notre vie présente. Il peut les consulter plus simplement comme des histoires de tiers, qui prennent place dans un monde différent, que l’on découvre non pas par comparaison mais à force de lecture de ces textes, par ailleurs admirablement choisis.

Le monde antique est un monde qui manie l’espace public et l’espace privé sur un mode particulier. À Rome ou à Athènes, on se connaît, on se scrute, et l’on se séduit. Portons notre amant curieux jusqu’au chapitre qui l’approcherait le plus des objectifs affichés par le titre et le sous-titre. Ne pas voir là une contradiction avec notre commentaire précédent, simplement une curiosité de découvrir quelle peut être l’origine de cette attitude visant à la sociologie comparée entre deux sociétés séparées par plusieurs dizaines de siècles. Laissons donc notre protégé se plonger avec passion dans la découverte des méthodes de séduction des antiques. Philodème nous conte une rencontre dans la rue, à la franchise surprenante :

"(...)- Mais à quelle heure viendras-tu?
-    À l’heure que tu voudras, toi.
-    C’est tout de suite que je veux.
-    Conduis-moi."

Entretiens souvent directs, certainement rendus plus francs encore par le pouvoir de la littérature (voire de la traduction, dont on se demande fréquemment à quel point elle a été modernisée), ces rencontres apportent souvent des sourires, quelques finesses de séduction, des stratégies dont on aimerait s’inspirer. Bienheureux celui qui se retrouvera dans le lit de sa belle en suivant les conseils d’Ovide :

"Si, comme il arrive, il vient à tomber de la poussière sur la poitrine de ta bien-aimée, que tes doigts l’enlèvent ; s’il n’y pas de poussière, enlève tout de même celle qui n’y est pas : tout doit servir de prétexte à tes soins officieux."

Puis, reconnu et accepté, l’amant peut enfin libérer sa fougue et sa passion, et faire montre de sa maîtrise des choses de l’amour, ou au contraire être initié au mystère du congrès des corps. Apulée nous conte un tel entretien, où l’homme s’offre en contemplateur de l’objet de son désir qui le domine et le dirige:

"(...) et l’instant d’après, elle dépouillait tous ses vêtements, laissait aller sa chevelure et m’apparaissait pour mon plus joyeux plaisir aussi ravissante qu’une Vénus réincarnée sortant du flot marin, le rose de sa paume ombrant à demi le blanc lisse de sa féminité dans un geste plus érotique que pudique".

Le regard féminin de l’époque nous est peu accessible, en bonne partie parce que ce que la littérature est peu pratiquée par les femmes et parce que les hommes semblent avoir porté en littérature une grande attention à leurs amour masculins. Cependant, les œuvres de fiction leurs donnent la parole, ainsi que les récits d’amours divins - où les déesses n’ont pas une part négligeable. Cependant, en dehors de la fiction et du mythe, il faut se tourner vers Sappho pour avoir un aperçu du regard des femmes sur l’amour, qui nous livre des pensées pleines d’un esprit perçant bien que mélancoliques:

"LA JEUNE FILLE - Virginité, virginité, tu me quittes, où t’en vas-tu?
LA VIRGINITÉ - Non jamais plus, non jamais plus, enfant, je ne reviendrais vers toi"

Une porte doit être ouverte ou fermée. D’ailleurs, aux côtés de la lampe à huile qui semble-t-il éclairait constamment les ébats antiques, celle-ci est le symbole premier de la faveur ou de la défaveur accordée à l’amant. Asclépiade conjure la lampe de porter ses lumières sur lui, en vain:

"Lampe, c’est par toi que, lorsqu’elle était devant moi, Héracleia m’a trois fois juré qu’elle viendrait, et elle n’est pas venue. Lampe, c’est-à-toi, si tu es une divinité, de châtier la perfide : quand elle aura chez elle un amant et qu’elle prendra ses ébats, éteins-toi, refuse-lui ta lumière."

Mais c’est la porte, comme nous le disions, qui est le symbole le plus parfait du destin de l’amant, de sa faveur ou de son discrédit. Properce offre à la porte elle-même la parole, se faisant le relais insensible des malheurs d’un amoureux délaissé et qui nous conte son dialogue avec ce dernier :

“Porte encore plus profondément cruelle que ta maîtresse elle-même, pourquoi es-tu silencieuse, fermée pour moi de si durs battants ? Pourquoi ne t’ouvres-tu jamais pour admettre mon amour, ne sachant pas t’émouvoir pour transmettre mes prières furtives ? N’y aura-t-il pas de fin accordée à ma souffrance et dormirai-je de façon infamante sur ton seuil attiédi ?"

Ces textes, qui auraient cependant gagné à être plus justifiés dans leur brièveté - tous les textes ne gagnant pas à être coupés de la sorte, bien que le choix se justifie dans un tel ouvrage - sont souvent drôles et inspirants. Les extraits de grands classiques y trouvent une place moins justifiée que les textes moins connus des grands auteurs, ou mieux encore, les anthologies de textes plus obscurs, mieux à-même de nous révéler la vie des anciens sans que dans l’esprit du lecteur ne vienne s’immiscer l’évidence de l’artifice.

L’ouvrage, bien que notre amant avide de leçons plus humaines que divines ait plus gardé en mémoire les aventures de ses congénères mortels, offre aussi une piqûre de rappel salutaire sur de nombreux mythes anciens. Zeus et Orphée y trouvent une place justifiée au panthéon des séducteurs, chacun à sa manière bien différente. L’on connaît moins les stratégies machiavéliques d’Héra pour retrouver en sa couche son mari coureur, racontées par Homère dans l’Iliade.

Autre terrain plus sombre, où nous ne porterons pas notre amant, le laissant à ses amours innocents, celui des philtres d’amour et sortilèges, aussi peu divin que magiques et des amours violents. Terminons sur cette note sombre par un extrait de Paul Le Silentiaire, en notant que le lecteur trouvera en Séduire comme un dieu un portrait complet des amours antiques. Espérons simplement qu’il n’ait pas cherché un guide de séduction et qu’il ne se laisse pas abuser par la complexe méthode historique et anthropologique des présentations.

“Misérable, voici que tu as satisfait un désir à propos duquel souvent, j’ai repoussé de mes  serments tout l’or de ta main ; et de ce pas tu iras maintenant tout droit en étreindre une autre sous ton sein, car vous n’êtes jamais rassasiés des œuvres de l’amour".