Un point d'étape, à la tribune du CESE (Conseil Economique Social et Environnemental) présidé par Jean-Paul Delevoye. "Guest star" et sans langue de bois : Laurent Fabius, qui présidera la COP 21
La France se serait-elle « battue » pour accueillir à Paris – enfin, au Bourget, en premier lieu – la prochaine conférence sur le Climat, comme Don Quichotte le fit – contre les moulins à vent, vous vous souvenez… ?
C’est en tout cas, ce qui filtre , du discours du ministre Laurent Fabius s’adressant au CESE qui rendait public le 28 avril 2015 deux avis préalables à la COP21 : au moment où fut prise cette décision, a rappelé le ministre, les candidats n’étaient pas légion…
Et même, après cette victoire toute relative, il aurait recueilli en gage d’humoristique accolade un « Good luck ! » qui en dit long sur l’état d’esprit des Parties liées (selon le jargon consacré) en prélude à la Convention onusienne destinée à contrer le dérèglement climatique. Le président de facto de cette prochaine négociation internationale, le ministre français des Affaires étrangères et du développement international Laurent Fabius, préfère d’ailleurs le terme « dérèglement » à celui de « réchauffement », a-t-il tenu à souligner devant son auditoire du CESE. A l’instar des rapporteurs des deux Avis de la « 3ème assemblée de la République » livrés ce jour-là, il a mis en exergue le fait que la question n’était « pas seulement » environnementale.
Réussir la conférence Climat : « bonne chance, Paris ! »
Pour avoir une chance de voir enfin la question prise au sérieux et à bras le corps, il faut la faire valoir sous l’angle de la santé (cf la Chine), de l’indépendance nationale et de la sécurité énergétique; ou encore, comme moteur de la « croissance verte » et du changement de modèle économique indispensable à nous sortir de l’ornière ; car, a laissé échapper en conférence de presse peu avant, Bernard Guirkinger (DG de Suez environnement jusqu’en 2013), co-rapporteur de l’avis « Réussir la conférence climat Paris 2015 », le modèle économique actuel est à jeter aux orties : mauvais pour le climat sans être florissant ni pour l’emploi ni l’ancienne prospérité économique dont ont, aveuglément, la nostalgie ceux qui en dépit du bon sens, nous enferrent dans l’austérité, et par peur de leur propre ombre, freinent la « transition écologique ». Biodiversité et lutte contre le dérèglement climatique vont de pair, ont insisté à la tribune les rapporteurs emmenés par Anne-Marie Ducroux, présidente de la section environnement du Cese. Message reçu, à en juger par les interventions des deux ministres présents, Ségolène Royal et Laurent Fabius. A suivre à la loupe, à l'issue de la COP21, la réunion des 196 parties à la Convention Climat prévue à Paris entre le 30 novembre et le 11 décembre prochains.
Pour l’heure, notre pays, hôte de l’événement attend quelque 20 000 délégués internationaux invités et 3 000 journalistes, a énuméré Laurent Fabius qui en tant que Président de cette Conférence prévient : « mon rôle ne sera pas de défendre la position de la France » (c’est celui dévolu à Ségolène Royal, dans le cadre de la position de l’UE qu’elle aura à porter...) mais à « écouter, tracer une ambition et dans un esprit de compromis » constructif. Objectif : parvenir à un consensus sans lequel – c’est la règle du jeu en l’occurrence –, il n’y aura pas d’accord.
Un accord, certes, mais de quelle forme juridique, s’est alors inquiété Laurent Fabius. La question est encore en suspens. Epineuse s’il en est, comme les termes du compromis pour espérer brider à 2° de plus le réchauffement global . Pour Jean Jouzel, climatologue et vice-président du GIEC (groupe d’experts internationaux sur le climat), « ce n’est pas un objectif aisé parce que les réserves d’énergies fossiles pas encore exploitées contiennent 5 000 milliards de tonnes de CO2 ; or, pour rester sous la barre des 2 degrés, il ne faut pas en consommer et en rejeter plus que 1 000 milliards de tonnes. C’est un vrai défi que de se limiter, cela implique de changer nos modèles de développement, et c’est tout l’enjeu des négociations sur le climat » .
Les initiatives pour limiter ces émissions sont certes à l'honneur : les appels à projets « Territoire à énergie positives » attestent du dynamisme des bonnes volontés locales, ou encore, les lauréats des concours mondiaux de l’innovation, célébrés le même jour à l’Elysée par exemple. Mais globalement, les émissions incriminées n'ont pas cessé d'augmenter. Si bien que l'enthousiasme et le volontarisme de nos tribuns ne paraissent pas loin de la pantomime, hélas...
Des embuches et tant d'inconnues encore !
Dans le dessein de mesurer un peu mieux les efforts, souvent épars, les 196 « parties » se sont engagées, lors d’une précédente Convention, à les consigner dans une feuille de route. L’UE, les Etats-Unis, la Suisse, la Norvège, le Mexique se sont exécutés. Et non comme prévu chacun des pays attendus à Paris. Autrement dit, les « contributions des Etats à la préparation de la COP21 » qui devaient être rendues publiques début avril ne le sont à ce jour pas toutes. A savoir, une récapitulation d’engagements volontaires, noir sur blanc, planifiés par chaque pays dans l’optique de limiter ses émissions de GES. « Il s’agit d’un document stipulant des objectifs, datés et chiffrés : quoi, quels moyens et quand? » explique Laurent Fabius. Délai de grâce pour les retardataires : le mois d’octobre. L’idée serait d’additionner, juste avant de finaliser le document estampillé COP21, toutes les réductions déjà « consenties » par les Etats via ces feuilles de route. Et de là, pourrait être mesuré le pas qui nous sépare de l’ambition +2° maximum. Il y encore loin de la coupe aux lèvres : ont rendu leur copie, les 28 de l’UE, plus la Norvège, la Suisse, le Mexique et les USA… Le compte n’y est pas. Autre difficulté évoquée par le ministre, un accord « différencié » : kézako? Ajoutez à cela la question du financement, – dont un fonds vert abondé pour 3 ans de 10Md€ environ, dont 1 fourni par la France, alors qu'il avait été convenu qu'il en drainerait 100/an – et le tableau n'est décidemment pas des plus roses... La somme promise est rondelette ? Or, pour prendre un point de comparaison, l'Agence internationale de l'énergie évaluait à 312 Md$ rien qu'en 2009 les subventions aux énergies fossiles, inefficaces et contre-productives à l'aune des objectifs âprement discutés dans le cadre de la Convention Climat car encourageant la surconsommation, l'insécurité énergétique, et freinant les investissements dans les « énergies propres » .
Beaucoup d’embûches et d’inconnues encore, nul doute que tel était au fond le message de Laurent Fabius au-delà de l’enthousiasme, voire de la combativité dont sont empreintes les allocutions des uns et des autres. Au moins à la tribune, parce qu’en coulisse, le scepticisme est de mise quant à l’obtention d’un « accord contraignant à la hauteur de l’enjeu » fin 2015 à Paris. Jusqu’au président François Hollande qui a laissé parler son pessimisme, le 20 avril à l’Elysée devant les lauréats d’un appel à projets « Territoire à énergie positive pour la croissance verte »…
En présence de Ségolène Royal au Palais d’Iéna, des écoliers invités à « s’emparer » du sujet dans le cadre de leurs travaux scolaires et civiques, d’apprentissage des modalités de débat et de délibération pratiqués au sein de la « 3ème assemblée de la République », ont avec beaucoup de fraîcheur témoigné à propos du défi posé par la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre : « Faites comme nous : acceptez d’apprendre ! ». Anne-Marie Ducroux, présidente de la commission environnement du CESE a veillé à ce qu’ils expérimentent jusqu’au bout ce jeu de rôle instructif : leur Avis a été édité comme celui des adultes, dans la collection des publications de cette institution. Et elle a mentionné l’un de leurs étonnements : « Les gens ont peur de changer. Alors que nous, on nous demande tout le temps de changer… »