Ce cinquième et dernier volume d'une œuvre de grande ampleur laisse une impression mitigée.

"L’unité de la musique" : c’est sous ce nom riche en promesses que se clôt Musiques, une encyclopédie pour le XXIe  siècle, aventure éditoriale de grande ampleur menée depuis quelques années par le musicologue Jean-Jacques Nattiez, Professeur à l’Université de Montréal et fondateur de la revue Circuit. Paru en 2003, le premier volume était consacré aux soubresauts du XXe siècle ; le deuxième explorait ce que les auteurs avaient appelé les "savoirs musicaux", c’est-à-dire les nombreuses facettes de la discipline musicologique ; le troisième interrogeait les rapports entre musique et histoire et se concentrait sur les musiques dites traditionnelles ; intitulé "Histoires des musiques européennes", le quatrième soulignait la diversité des approches ayant irrigué la musicologie historique.

Tentative de synthèse des quatre volumes précédents, ce cinquième et dernier volume laisse une impression mitigée. A l’évidence, pareille somme musicologique en langue française manquait (en anglais, le New Grove’s, en allemand MGG font depuis très longtemps référence). Mais l’encyclopédie que propose Jean-Jacques Nattiez est loin d’avoir toutes les vertus nécessaires pour satisfaire la curiosité des musicologues (Il écrit d’ailleurs lui-même : "Ce dernier volume déplaira peut-être à peu près tout le monde".) Louable, l’ambition d’inscrire l’encyclopédie au croisement des disciplines (histoire, anthropologie, sociologie, épistémologie…) conduit malheureusement à minimiser l’apport des disciplines musicales les plus techniques. Il n’y a donc pratiquement rien de convaincant sur les questions liées au contrepoint, à l’harmonie, à l’orchestration, pas grand chose sur les points de vue respectifs du compositeur et de l’interprète (l’article de Pierre Boulez sur l’activité d’un chef d’orchestre est faible, comme Jean-Jacques Nattiez lui-même le reconnaît volontiers en privé).

S’agissant plus particulièrement du cinquième volume, on est parfois perplexe devant les réponses que l’ouvrage apporte aux interrogations suscitées à la fois par les "défis de la mondialisation" et par la lancinante question de l’unité et de la diversité de la musique. Avec pratiquement toujours en arrière-plan la question des rapports entre musiques savantes et musiques populaires, musiques écrites et musiques de tradition orale, le volume propose quelques articles originaux (Philip Tagg, sur "Musiques et significations : l’exemple de l’angoisse"), approfondis (Gilles Léothaud, sur "Classification des techniques vocales"), documentés (Jean Molino et Jean-Jacques Nattiez, sur "Typologies et universaux")… D’autres sont malheureusement jargonnants. Et sur les musiques contemporaines, l’article "Unité dans les musiques d’aujourd’hui" manque singulièrement d’éclectisme.

Partant de l’idée que la musique doit être considérée comme un phénomène planétaire, les auteurs en viennent à se demander s’il est toujours possible de considérer la musique comme la déclinaison d’un modèle unique. Le problème, c’est que cette hypothèse forte les conduit à négliger, dans ce volume comme dans les précédents, quantités de compositeurs baltes, britanniques, américains et nordiques, qui n’ont pas le droit à la moindre mention. Au total, on ne sait trop à quel public cette encyclopédie devrait s’adresser en priorité. Elle risque de décevoir les spécialistes (musiciens, universitaires, chercheurs) sans vraiment contenter les mélomanes et les simples curieux.


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Crédit photo : operation clash / Flickr.com