Un ouvrage qui tente de lutter contre le mépris affiché de la plupart des universitaires et de certains responsables d’institutions culturelles envers le compositeur estonien.
Connue bien au-delà des cénacles de la musique contemporaine — et même au-delà du cercle des mélomanes classiques —, la musique d’Arvo Pärt a longtemps souffert d’un mépris affiché de la plupart des universitaires et de certains responsables d’institutions culturelles. Elle est assez typique de cet "autre XXe siècle" boudé de nombre de musicologues, alors même qu’il est servi par une discographie qui ferait pâlir la plupart des chanteurs de variété. Ce livre, édité par Actes Sud, vient donc combler une lacune, de taille. Livre tripartite : un avant-propos, que l’on doit à David Sanson, admirateur et fin connaisseur de la musique d’Arvo Pärt ; un long entretien avec le compositeur et sa compagne Nora, réalisé en 2003 par Enzo Restagno, ex-directeur artistique de la RAI ; une étude approfondie du style tintinnabuli, signée Leopold Brauneiss. En complément, on trouve une brève chronologie et la liste des œuvres du compositeur .
On suit Arvo Pärt, d’abord ingénieur du son à la Radio estonienne (jusqu’en 1967), qui, refusant de se plier aux diktats du réalisme socialiste, fait le choix de l’exil, d’abord à Vienne, puis à Berlin-ouest. Après plusieurs années de maturation, il y développe une conception toute personnelle du son, élaborant une musique aux confins du silence, dont on voit bien quels liens ambigus elle garde avec la modernité darmstadtienne des années 1950 et 1960 : idée d’intégrité, fascination pour le matériau, recherche de pureté stylistique et idéal de la tabula rasa … A l’est, la musique de l’orthodoxe Pärt — avec son sens du renoncement et de la compassion — ne cadrait guère avec les canons du régime ; à l’ouest, son sens de la pulsation et son goût pour l’hyperconsonance en font la cible du paléo-avant-gardisme institutionnel. Mais on chercherait en vain la moindre arrière-pensée tactique chez Arvo Pärt, resté toujours fidèle à sa sensibilité et à son inspiration, et qui en est venu à susciter des vogues bien plus qu’il n’a voulu les épouser. C’est ce qu’explique très bien David Sanson dans sa préface : "Le meilleur gage du succès de l’œuvre de Pärt se mesure sans doute à la ferveur qu’elle a suscitée auprès des plus grands interprètes, souligne-t-il. […] C’est largement à eux, mais aussi au soutien inconditionnel de Manfred Eicher, fondateur de l’indispensable label ECM […], qu’elle doit d’avoir pu surmonter les obstacles, physiques (le rideau de fer) ou psychologiques (tous ces préjugés idéologiques qui nous empèsent), vaincre les réticences, pour accéder à l’audience inédite qui est la sienne aujourd’hui." Parfois technique, jamais aride, l’ouvrage a le grand mérite de cerner les contours du style tintinnuabli, adopté à partir des années 1970, et qui voit l’éclosion de plusieurs chefs-d’œuvre : Fratres, Tabula rasa, Festina lente…
On peut être agacé par l’importance accordée au Nombre — autre trait, d’ailleurs, que Pärt partage avec certains compositeurs du courant darmstadtien, publiés, comme lui, chez Universal : mystique à laquelle on a du mal à croire, et qui relève un peu de l’intimidation pseudo-scientifique. Par ailleurs, si le tournant de la fin des années 1970 est finement décrit, on regrettera que le livre n’analyse pratiquement pas l’inflexion stylistique de la toute fin des années 1990, quand Pärt se détourne en partie de la modalité du Moyen Age et de la Renaissance pour s’intéresser à une tonalité fonctionnelle située aux marges du romantisme (Mendelssohn et Brahms, notamment). Reste que pour ce compositeur au succès planétaire, ce livre en français se révèle indispensable