ACTUEL MOYEN ÂGE – A voté... au Moyen Âge
[samedi 22 avril 2017 - 09:00]

Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Aujourd'hui, pour préparer le premier tour : le vote au Moyen Âge, plus subtil qu'il n'y paraît...

 

 

Les élections présidentielles approchent ! Et dans l’esprit de bien des gens, ce qui distingue nos démocraties contemporaines des sociétés du Moyen Âge, c’est que nous désignons par le vote nos dirigeants, tandis qu’autrefois, seule la naissance destinait à telle ou telle fonction.

Comme souvent, la réalité est bien plus riche et complexe. Au Moyen Âge, pas de démocratie, et pourtant l’élection est partout.

 

Le vote avant la démocratie

 

On tend à l’oublier, mais avant que l’hérédité ne s’impose progressivement, les rois de France ont longtemps été élus par les grands (les principaux nobles) du royaume. La pratique d’élire le souverain se perpétua dans le Saint Empire Romain, jusqu’à ce que Napoléon ne mette fin à l’institution.

Les clercs étaient sans doute ceux qui recourraient avec le plus de régularité à l’élection. Le pape et les évêques étaient élus, au haut Moyen Âge, par tous les habitants de leur cité. Puis, en réaction au poids trop important que la haute aristocratie prit dans ces désignations, on réduisit au XIe siècle le corps électoral aux cardinaux pour le pape, aux clercs de la cathédrale pour les évêques. Et dans les monastères, les moines élisent leur abbé.

En parallèle, au XIIe siècle, les communes se multiplient dans les villes d’Europe. Or souvent, ces petites républiques désignent certains de leurs magistrats par élection.

 

Tirer au sort ou voter : quelle place laisser au hasard ?

 

Aujourd’hui, nos démocraties semblent en crise, leur fonctionnement est remis en cause. Certains appellent à l’usage systématique de referendums (il serait aujourd’hui possible à chacun de voter pour à peu près tout sur son smartphone), d’aucuns à plus de participation locale des citoyens, d’autres enfin au tirage au sort pour certains mandats.

Cette dernière pratique porte un nom savant : la stochocratie (du grec stokhastikos signifiant « aléatoire »). Les défenseurs de cette pratique partent d’un constat très simple : on a beau voter tous ensemble, les assemblées élues ne représentent absolument pas la population. Les femmes y sont minoritaires, les ouvriers invisibles, les minorités ethniques et religieuses sous-représentées. C’est l’argument principal de David Van Reybrouck, l’un des plus ardent défenseur des systèmes mixtes, qui feraient de la place au tirage au sort.  Il explique que dans le cas des magistratures collectives (députés, sénateurs, conseillers généraux ou municipaux…), le tirage au sort permettrait de réduire l’homogénéité sociale de la classe politique, leur faible prise en compte des réalités de la vie quotidienne des populations, la nécessité de « faire carrière » et donc de devoir, une fois arrivé au pouvoir, rendre des services. Bref le hasard serait plus représentatif.

Et si je vous disais que les médiévaux avaient déjà médité tout ceci ? Dans la république de Florence au xive siècle, on utilise un système mêlant cooptation, élection et tirage au sort en espérant que les avantages des trois procédés se cumulent et tempèrent les effets pervers des autres.

 

Florence, ou la pratique du hasard sous contrôle

 

À partir de 1324 par exemple, on commence dans chacun des seize quartiers de la ville à dresser la liste des habitants qui jouissent du statut de citoyen. Les femmes, les plus pauvres, les étrangers et les enfants en sont exclus, ce qui fait qu’environ un quart de la population votait. Les citoyens du quartier désignaient ceux d’entre eux qu’ils jugeaient les plus dignes d’assurer des fonctions publiques.

Les noms des heureux élus de tous les quartiers étaient écrits sur de petits morceaux de papier et placés dans une bourse conservée au palais public. Les Florentins désignaient joliment cette pratique du terme d’imborsolamento : littéralement, le fait de mettre dans la bourse. Chaque fois qu’un mandat public était à pourvoir, on procédait au tirage au sort d’un nom contenu dans cette bourse. À partir de 1324 par exemple, les Seigneurs de la ville changeaient tous les deux mois. La seigneurie de Florence est alors collective et compte un Gonfalonier de la justice qu’entourent huit Prieurs. Lors du tirage au sort, une commission déterminait si la personne désignée par tirage était apte à assurer cette charge. S’il s’agissait par exemple d’un poste de juge et que la personne n’avait pas une formation suffisante en droit, on procédait au tirage d’un nouveau nom.

La principale critique que font aujourd’hui les détracteurs de la stochocratie est qu’elle prend le risque de désigner quelqu’un qui n’a pas les qualifications pour le poste pour lequel il est tiré au sort. C’est exactement la même critique que formule une partie des plus riches Florentins de la fin du XIVe siècle, menés par un homme politique et intellectuel important, Leonardo Bruni. Au terme de bien des discussions, les Florentins décident de conserver leur système, car ils estiment que la cooptation et l’élection permettent dans la plupart des cas de limiter les désavantages du tirage au sort. Leur système mixte sort même renforcé de ces remises en cause et les Florentins, plus convaincus que jamais de son bienfondé, le louent comme un modèle d’équilibre, de compromis, de concorde sociale.

Évidemment, tout cela c'est la théorie... la pratique est différente : les familles dominantes de Florence mettent souvent la main sur les charges "tirées au sort", et s'assurent que le hasard fera bien les choses. Comme quoi aucun système n'est parfait, ce qui n'empêche pas de chercher à tendre au mieux.

En somme, les sociétés médiévales ont connu toute une série de pratiques électorales, voir républicaines. Elles sont en partie à l’origine de nos institutions actuelles, avec toutefois une différence fondamentale : étrangers à l’idée des Lumières postulant l’égalité des droits de chacun, les médiévaux n’expérimentèrent pas de pratique démocratique. Le suffrage était souvent limité à un nombre très réduit d’électeurs.

Par ces réussites, mais aussi par ces échecs, ces expérimentations nous donnent du grain à moudre. Avant d'aller voter !

 

Pour aller plus loin :

- Olivier Christin, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Paris, Seuil, 2014

- Jacques Dalarun, Gouverner c'est servir. Essai de démocratie médiévale, Alma, 2012.

- Ilaria Taddei, « Du secret à la place publique. L’élection de la seigneurie à Florence (XIVe-XVe siècle) », dans Le destin des rituels. Faire corps dans l’espace urbain, Italie- France- Allemagne, Gilles Bertrand et Ilaria Taddei, Rome, 2008, p. 117-141

- Émission de France Culture, "L'élection pontificale au Moyen Âge" avec Étienne Anheim

- Roger de Sizif, La stochocratie. Modeste proposition pour que le peuple de France soit heureusement gouverné grâce à l’instauration d’une sélection politique aléatoire, Paris, Les Belles Lettres, 1998.

Vous pouvez retrouver tous les articles de cette série sur le site Actuel Moyen Âge.

 

 

 



rédacteurs : Maxime FULCONIS ; Pauline GUéNA