L’abbé et le musicien
[lundi 17 août 2015 - 18:00]
Musiques
Couverture ouvrage
Musique, foi et raison
Éditeur : L'Harmattan
240 pages
Sur fond de Première Guerre mondiale, l’échange épistolaire entre l’abbé Gabriel Renoud et le célèbre compositeur Saint-Saëns engagé dans son combat contre l’Allemagne.

Saluons d’emblée l’initiative éditoriale de Pierre Guillot, professeur émérite à la Sorbonne, ancien organiste titulaire de la collégiale Notre-Dame de Bourg-en-Bresse où a exercé l’abbé Renoud (1873-1962). Pierre Guillot a notamment fait paraître un ouvrage sur Déodat de Séverac ainsi qu’un Dictionnaire des organistes français des XIXe et XXe siècles (aux éditions Mardaga). En tant qu’éditeur cette fois, Pierre Guillot nous permet de prendre connaissance d’une touchante correspondance, à l’origine d’une amitié, entre le patriarche de la musique française de la Belle Époque et le jeune prêtre, maître de chapelle, organiste puis Vicaire d’Ars. Les 116 lettres qui ponctuent cet itinéraire de sept années laissent transparaître le contexte de la Première Guerre mondiale auquel les deux hommes restent liés : Saint-Saëns s’engage dans la polémique lorsqu’il tente publiquement d’ostraciser la musique allemande dès l’automne 1914 tandis que l’abbé Renoud, mobilisé comme infirmier, va remplir diverses missions auprès des soldats, au front. Le combat contre l’Allemagne, quelle que soit sa forme, rassemble les deux correspondants. Ces derniers s’entretiennent sur les choix musicaux à l’église, sur la qualité de tel ou tel répertoire, sur la pertinence à jouer telle ou telle œuvre.

Les deux hommes se sollicitent mutuellement, en tant que spécialistes, chacun dans son domaine. L’abbé ne ménage pas ses efforts pour convaincre le scientiste et rationnel Saint-Saëns de rejoindre le giron de l’Église. Il comprend rapidement l’inutilité de son prosélytisme et se heurte à des arguments qui ne freinent pourtant pas l’estime réciproque et l’amitié qui se mettent en place en un temps où les impératifs du conflit priment. Les deux patriotes (l’abbé qualifie Saint-Saëns de « Joffre de la musique française ») s’entendent suffisamment malgré leurs divergences. Ils sont horrifiés par l’incendie de la cathédrale de Reims ; ils s’accordent sur la nécessité à exclure des concerts toute musique allemande, en particulier celle de Wagner. « Nouveau gentil », Saint-Saëns ne se laisse pas séduire par les arguments longuement dissertés et qui laissent espérer que l’auteur de musique religieuse (doublé de l’organiste) retournera à la foi catholique. Il faut dire que Saint-Saëns ne voit dans la religion qu’un « admirable objet d’art », belle et intéressante manière de renier sa croyance en un ordre supérieur tout en conservant une certaine estime pour l’héritage laissé par l’Église.

Les 116 lettres sont remplies de considérations sur le patriotisme, sur le scientisme, le darwinisme, sur ce qui justifie de faire la guerre pour un croyant. Quelques références au rôle de la musique sur le front aident à en comprendre l’utilité pour les soldats, notamment lors des offices où retentit occasionnellement la musique de Saint-Saëns. De nombreuses lignes écrites par l’abbé analysent, à l’aune du rationalisme du compositeur, les liens entre science et foi, avec ce regret que l’une s’oppose trop catégoriquement à l’autre. À Saint-Saëns de répondre : « à un grand saint je préférerai toujours un grand savant ».

Le travail de Pierre Guillot apporte sa contribution à la redécouverte de Saint-Saëns. Il avoue dès l’introduction la frustration à ce que ne figurent que 25 lettres de ce dernier, ce qui constitue une limite de ce travail d’édition. Si l’abbé développe longuement ses arguments auxquels il joint de nombreux poèmes de son cru, Saint-Saëns répond toujours plus brièvement mais livre une part intime de sa personnalité. Il confie son rejet de ce que lui impose la célébrité ; il fait part de certains événements de sa vie privée, comme la mort de son domestique, Gabriel Geslin, en novembre 1917. Il avoue, sur le tard, son goût pour le combat politico-esthétique ; il confie son admiration pour Foch et son rejet des « excès » du naturalisme, trop prompt selon lui à livrer de la guerre les aspects les plus sombres. On le voit, cette correspondance livre un grand nombre de considérations sincères dont la réunion aide à mieux percevoir les traits de mentalité du fameux compositeur.

 



 



rédacteur : Stéphane LETEURÉ, Critique à nonfiction.fr
Illustration : Orgue de l'église Saint Germain l'Auxerrois - Paris, de Gérard Janot, via Wikimedia Commons D.P.
Titre du livre : Musique, foi et raison
Auteur : Camille Saint-Saëns, Gabriel Renoud
Éditeur : L'Harmattan
Date de publication : 24/09/14
N° ISBN : 2343039305