De Chaliapine à l'ouvreuse
[dimanche 29 mars 2015 - 10:00]
Arts visuels
Couverture ouvrage
Au théâtre ! La sortie au spectacle XIXe-XXIe siècles
Éditeur : Publications de la Sorbonne
320 pages
Un panorama foisonnant des multiples aspects de la vie théâtrale, vue du point de vue du spectateur, à travers les pays et à travers les âges.

Que signifie « aller au théâtre » ? Comment prépare-t-on cette sortie, selon qu'on est passionné d'art dramatique, qu'on cherche à se distraire sans plus ou à passer une soirée en famille ? Selon la classe sociale à laquelle on appartient, s'agit-il d'un rituel social individualiste, où l'on vient pour se montrer en public, ou d'une manifestation communautaire ? Comment ce rituel a-t-il évolué au cours des âges ? En quoi diffère-t-il d'un pays à l'autre, voire d'un continent à l'autre ? Et que se passe-t-il dans la salle de spectacle, avant que le spectacle commence, et une fois qu'il a commencé ? Comment les spectateurs se comportent-ils, en fonction de leur origine sociale, de leur sexe, du type de théâtre qu'ils fréquentent, de la place qu'ils occupent au théâtre, de l'époque où ils vivent ? Telles sont quelques-unes des questions qu'abordent les quinze chapitres de ce volume, entourés d'une introduction et d'un épilogue.

Précisons tout de suite que les limites chronologiques du livre sont un peu plus étendues que ne l'implique le sous-titre, puisque la contribution de Solveig Serre, éminente experte du sujet, nous emmène à l'Opéra de Paris à la fin de l'Ancien Régime : on nous fait donc remonter à 1770, année du mariage du dauphin, futur Louis XVI, et de Marie-Antoinette. Et le mot théâtre est à prendre, comme on le voit, au sens large, car de nombreuses formes de spectacle sont convoquées dans l'ouvrage, y compris le music-hall, même si le théâtre au sens classique domine. Quant aux limites géographiques, elles sont elles aussi vastes et intéressantes : si Paris, évidemment, se taille la part du lion, le chapitre richement illustré de l'historien Michel Rapoport traite des programmes imprimés des théâtres londoniens ; il est encore question de Londres, mais aussi de New York, dans celui de Manuel Charpy, qui traite des rapports entre le théâtre et la mode. Spécialiste du Brésil, Anaïs Fléchet nous entraîne à Rio de Janeiro sous la Première République (1889-1930). Julian Esteban Gomez nous entretient de la vie théâtrale et lyrique à Buenos Aires entre 1880 et 1914, période dont les bornes correspondent à l'inauguration de deux théâtres capitaux dans l'histoire du spectacle en Amérique latine : le Politeama, en 1889, et le nouveau Teatro Colón – celui que nous connaissons et qui vient d'être rénové – en 1908. Jeanne Moisand nous invite à nous intéresser à la différence des publics madrilène et catalan en fonction de leur sexe dans l'Espagne fin-de-siècle. Robert Beck, qui a exploité les 5 500 pages du journal tenu entre 1821 et 1872, année de sa mort, par un certain Franz Caspar Krieger, maître passementier de la petite ville bavaroise de Landshut, rend compte des aspects théâtraux de ce document peu connu. Quant à Pascale Melani, elle nous présente une autre source manuscrite, les souvenirs inédits d'un lyricomane moscovite du nom Nikolai Alexandrovich Gueinike, rédigés dans les années 1930 mais se rapportant essentiellement à la période 1870-1900.

Les autres thèmes abordés sont la vente et le trafic des billets de théâtre sous la Restauration, qu'étudie Sylvain Nicolle ; les files d'attente des théâtres de mélodrame au XIXe siècle, que décrit Florence Fix ; les sorties au théâtre entre 1872 et 1882 de Léon Gambetta et sa maîtresse Léonie Léon, dont les auteurs du chapitre, Susan Foley et Charles Sowerwine, nous expliquent assez drôlement comment ils ont dû se résigner à les appeler Gambetta et Léonie – Gambetta et Léon et Léon et Léonie se révélant, pour diverses raisons, l'un et l'autre impossibles. En fin d'ouvrage, la situation des ouvreuses des théâtres et cinémas parisiens est étudiée par Flore Garcin-Marrou dans une perspective qui est à la fois sociologique et celle d'un témoignage personnel ; après quoi, la sociologue Dominique Pasquier nous entretient des contraintes corporelles imposées au spectateur de théâtre, et leur évolution à travers les âges ; le critique René Gaudy nous propose, enfin, une phénoménologie miniature de l'habitude aussi funeste que répandue de s'endormir au théâtre.

On voit que l'ouvrage, aussi instructif que divertissant, couvre les sujets les plus divers, et met en jeu une riche bibliographie qui aurait mérité de figurer en fin de volume. Il est, comme on l'a dit, abondamment illustré, au point que l'on se prend à regretter que les sources de ces illustrations ne soient pas systématiquement indiquées. Notons tout de même que l'affiche lyonnaise reproduite en figure 3 ne saurait être de 1836, puisqu'elle y fait mention des Dragons de Villars, qui sont de 1856, et de Lakmé, dont la création est de 1883.

 



rédacteur : Vincent GIROUD, critique à nonfiction.fr
Illustration : Wikimedia CC
Titre du livre : Au théâtre ! La sortie au spectacle XIXe-XXIe siècles
Auteur : Jean-Claude Yon, Pascale Goetschel
Éditeur : Publications de la Sorbonne
Collection : Histoire contemporaine
Date de publication : 01/12/14
N° ISBN : 2859448772