'Advertising adds you as a friend'
[mardi 27 novembre 2007 - 00:00]
ou

Pourquoi la publicité sur Facebook serait-elle plus critiquable que la publicité tout court ?



Mercredi 5 décembre, 7h du matin, Mark Zuckerberg, publiquement, s’excuse.
À l’origine de la discorde, un système de ciblage comportemental des plus anodins, un outil que la publicité utilise depuis longtemps sans que les consommateurs montent véritablement au créneau, presque une routine en somme. Mais alors, quelle différence entre le beacon de Facebook, et les exercices de targeting propres à la publicité ? Pourquoi cette culpabilité plus forte ici que là-bas ?


Facebook, lieu de construction d’un "idéal du moi"

La construction d’un profil sur Facebook n’est pas une mince affaire. Au centre de la réflexion de l’internaute, une évolution des dynamiques pour celui qui découvre le site et ses figures imposées : d’abord animé par le désir de retrouver d’anciennes connaissances, il est bien vite rattrapé par le succès de la plateforme car son profil servira surtout à donner une image de lui à ceux qui, à leur tour, le retrouveront. D’où, rapidement, une inversion de paradigme : notre facebooker remplira les cases dans l’espoir – dans l’angoisse peut-être ? – d’être retrouvé. Retrouver, être retrouvé… Dans un cas comme dans l’autre, on ne sort pas d'un enjeu très narcissique conduisant à la mise en scène d’un moi virtuel idéalisé.
Les choses deviennent plus complexes avec l’irruption de la publicité au beau milieu de cet ego-trip. Pourtant, il n’y a pas de réel problème à se voir ciblé pour ce que l’on veut paraître. Au contraire, cela peut même devenir une fierté, ou du moins rester acceptable. Si l’étalage de nos ego est tantôt torturé, tantôt corrompu, souvent fantasmé et parfois juste, il n’en demeure pas moins maîtrisé : on ne donne à voir que ce que l’on veut bien offrir de soi. C’est lorsque le marketing s’intéresse à la partie d’ombre de l’internaute, à ses comportements, qu’il y a une levée de bouclier – se pose ici un premier temps de la critique anti-publicitaire sur Facebook. Pour la différence du degré de gestion du fantasme, pour la perte du contrôle, par la mise en péril de cet idéal du moi.


Hypersegmentation et stéréotype : quelle différence entre publicité et publicité sur Facebook ?

La publicité, par principe d’économie et d’efficacité, est souvent décriée pour ses fréquents recours aux stéréotypes ; inconsciemment intégrés par les consommateurs, ceux-ci apparaissent vite comme le passage obligé de la représentation. Symboles de la manipulation et de la vulgarisation, admettons qu’ils sont surtout un raccourci commode et efficace pour que le message véhiculé reste simple, intelligible et perceptible.
La déformation par la représentation, avec les clichés exploités, véhiculés, parfois entretenus, est la pierre d’achoppement des détracteurs de la publicité.

Mais alors, quel lien entre la radicalisation utilitariste des figures et des profils aux allures plus qu’individuelles créés sur Facebook ?
Trouvons une clef d’entrée afin de mieux comprendre la construction des profils. Pour celui qui se prête au jeu, Facebook est une vitrine un peu particulière, puisqu’elle montre ce qui ne devrait pas se voir (affinités, orientation sexuelle, statut, film préféré, groupes d’appartenance…). Dès lors, assumons que l’appartenance à un groupe Facebook est censée renseigner sur le profil autant que les autres champs plus attributifs : l’âge, le sexe, le lieu de résidence… Si l’on observe les plus populaires d’entre eux, on remarque qu’ils sont construits autour de trois notions : l’opposition, le culte du détail et le faible degré d’engagement induit par ladite appartenance. Le "Comité de Lutte contre l'union du slim, de la tecktonik & de la coupe mulet" (53.220 membres à ce jour) ou "Je ne dis jamais des fois, je vais au coiffeur" (36.993 membres) battent sans effort "Le Grenelle de l'Environnement" qui, lui, peine à passer la barre des 418 membres.
Quels enseignements ? Facebook véhicule des stéréotypes, et fait même pire : il met à jour des surstéréotypes, figures hyper-affinées, mais toujours aussi caricaturales et réductrices. Ainsi, ce que l’on reproche à la publicité en général est à plus forte raison ce que l’on reproche à Facebook : lorsque l’une tente de construire des typologies, le second profite de celles qui lui sont données – toutes faites – par les utilisateurs eux-mêmes.


Facebook ne brasse que des caricatures ?

Cependant, ces typologies que les internautes créent par eux-mêmes en s’hyper-segmentant posent problème : plus on hyper-segmente, plus on se rapproche de l’unique, donc du réel, or le stéréotype n’est utile que s’il s’en éloigne, s’il généralise… Ici, tout est question de savoir quel degré d’éloignement il est bon d’entretenir pour que son recours reste efficace.
Ensuite, et ceci est plus directement liés aux utilisateurs de Facebook, c’est le moteur même de la création des groupes les plus populaires qui est intéressant : dans bien des cas, ils sont construits par opposition à une norme perçue comme peu fiable, voire irréfléchie ; les groupes tentent de mettre de l’ordre dans la société.
Cette opposition entre la construction (le groupe) et la destruction (son thème) semble assez symptomatique de la mise en scène d’une identité virtuelle sur Facebook ; appartenir à un groupe, c’est en soi se conformer à un modèle prédéfini. Quand le groupe s’oppose, qu’il dit "non", c’est une force sur un profil en ce qu’il témoigne d’une résistance à la majorité. Alors, à trop vouloir s’individualiser, courir vers le même idéal, se construire contre les mêmes stéréotypes, on ne finit plus par ressembler à quelqu’un, mais bien à tout le monde.

Finalement, plus on s’auto-segmente sur Facebook, plus on se rapproche collectivement d’une caricature de l’unique en arme contre les stéréotypes. Plus on se ressemble en somme. De là une réelle difficulté à pouvoir retrouver des typologies claires et exploitables par le marketing. En somme, il existe une véritable limite à faire de la publicité vraiment ciblée sur Facebook.


Alors… de quoi faut-il donc s’inquiéter quant à la publicité sur Facebook ?

De fait, quel recours reste-t-il au publicitaire qui décrypte cet état de fait, cette difficulté propre à Facebook à construire des profils "exploitables" ? Que faire pour que ce réseau social tienne effectivement ses promesses (ou du moins celles faites au monde du marketing par Mark Zuckerberg)?
Pour certains, sans doute rien. Ou du moins rien de nouveau, si ce n’est exploiter un "média" concentrant des profils de jeunes urbains, apte à recevoir des campagnes digitales classiques. Pour les autres, exploiter ce qui fait l’énergie de Facebook : une viralité qui se bâtit sur le narcissisme des facebookers. Une viralité qui se joue sur un mode actif tout autant que passif .
    Activement, l’internaute partage, challenge et se donne à voir à sa communauté. Activement, il défie ses friends sur un traveler IQ ou se compare à eux par le biais d’un likeness test. Activement toujours, il construit son profil (sa vitrine). Plus passif, mais tout aussi efficace, le tableau de bord comportemental (le mini-feed) fait l’inventaire auprès de tous les membres connectés des faits et gestes de chacun, renouvelant un modèle panoptique cher à Foucault…faisant de chacun le "gardien" de tous.

Dès lors, l’enjeu du publicitaire devient bien moins de transmettre un discours persuasif, de « séduire » comme le suggère N. Kapferer, mais bien plutôt de construire une stratégie d’ego-marketing et d’aider l’internaute à se constituer une identité virtuelle, valorisante, à ses yeux. D’où l’engouement actuel, dans les agences, pour les challenges, les gifts, les tests ou toute autre application constituant un service gratuit sponsorisé par une marque "amie" (enfin, insuffisamment amie tout de même pour s’en faire un friend sur son profil !). Les exemples d’Apple et de son iPhone virtuel ou la démarche TravelPod sont parlants à cet égard. Il n’est pas de doute que les publicitaires y voient aujourd’hui la façon la plus efficace de se faire accepter par les facebookers…et une des plus complexes, puisqu’il faut réinventer son métier.


Et demain ?

Que penser des modèles à venir ? Quelles perspectives dans un univers qui se redessine tous les trois mois ? Difficile à anticiper, cette évolution est aussi soumise à la pérennité des plateformes. Mais admettons que Facebook dure, voire atteigne la taille d’un MySpace. Alors, persuadons-nous que ses membres, plus aguerris, auront cessé de spammer leurs amis et gèreront avec plus de discernement leur profil afin de recevoir les informations, voire les publicités qui les intéressent. Gageons qu’ils auront fini par admettre que le réseau social est bien moins un espace privé qu’un "lieu public" et qu’en conséquence, la gestion de leur moi virtuel se sera professionnalisée.
    En bref, pour continuer à se fréquenter sur Facebook, les partenaires du contrat publicitaire, marques et consommateurs, apprendront de part et d’autres à être à la fois plus mesurés… et plus opportunistes.



Par Guillaume Bilheude et Déborah Marino, planneurs stratégiques, respectivement chez Lowe Stratéus et chez Ogilvy & Mather.


Crédits photo: Tikigirl / flickr.

rédacteur : Déborah MARINO, Planneur Stratégique - Ogilvy & Mather