L’itinéraire du musicien Fernand Halphen, Second Prix de Rome, appelé sous les drapeaux en 1914 et dont on célèbre le centenaire de la disparition.

Après avoir étudié le parcours d’Henri Herz   , pianiste, compositeur et facteur de pianos, Laure Schnapper entreprend cette fois la redécouverte d’une figure attachante et oubliée du milieu musical français de la Belle Époque : Fernand Halphen. Avec l’aide d’historiens, de musiciens et de musicologues, elle propose une somme remarquable à l’occasion du centenaire de la disparition de cette figure représentative de la haute bourgeoisie juive française de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Quatre parties structurent l’ouvrage : 1. Les origines familiales et sociales de la famille 2. La formation de Fernand Halphen 3. Son œuvre 4. Son implication dans la Première Guerre mondiale. De remettre au devant de la scène une figure oubliée de l’histoire de la musique française a pour vertu de rappeler qu’au delà des célébrités existe encore un vivier extraordinaire de personnalités davantage représentatives de ce que fut le milieu musical de la Belle Époque. Le livre de Laure Schnapper encourage à l’exploration de cette « réserve » qui appelle les musicologues et les historiens à travailler ensemble.

 

Une jeunesse musicale dans la haute bourgeoisie juive parisienne

Fernand est le benjamin d’une riche famille juive qui constitue une véritable dynastie économiquement entrée en déclin après la Première Guerre mondiale. La fortune de Fernand renvoie à l’histoire de ses grands-parents, anciennement implantés en France et arrivés à Paris au début du XIXe siècle. Son rang dans la fratrie permet à Fernand d’être libre de ses choix d’études et de carrière. Représentative de la haute bourgeoisie juive parisienne parfaitement insérée au contexte social de la méritocratie et influencée par le patriotisme en vogue, la famille Halphen conjugue l’amour de la patrie avec une judéité typique des Israélites « consistoriaux ». Les Halphen vivent dans plusieurs propriétés, valorisent la culture et pratiquent le mécénat. Fernand grandit au sein d’un réseau intraconfessionnel, quoique lié au monde artistique français dans sa globalité. Encouragé à jouer de la musique et à en composer, Fernand reçoit un Stradivarius pour ses 18 ans, instrument passé depuis entre les mains d’Emmanuel Krivine et de Jean-Jacques Kantorow ; il bénéficie d’un enseignement privé, avec Martin-Pierre Marsick pour le violon et Gabriel Fauré pour la composition à partir de 1888. Ses parents sont des collectionneurs et commandent à Auguste Renoir le portrait de leur fils en 1880.

Fernand entre au Conservatoire de Paris dans la classe d’Ernest Guiraud puis de Massenet et finit grâce à son acharnement par décrocher, en 1896, à l’âge de 24, ans le 2e Second prix de Rome. Auditeur libre dans la classe d’harmonie de Théodore Dubois (grâce à l’entregent de Gabriel Fauré), élève d’André Gedalge (pour la fugue) il se prend d’amitié pour Reynaldo Hahn et intègre le temps de ses études tout un réseau d’élèves avec Henri Büsser et André Bloch. Fernand fréquente Charles Koechlin, Max d’Ollone et Georges Enesco avec lesquels il entretient une assez riche correspondance. Cette obtention du prix de Rome permet à Fernand de ne plus figurer parmi les amateurs de musique mais bien parmi les compositeurs professionnels et reconnus. Membre de plusieurs sociétés et institutions musicales, Fernand contribue financièrement au dynamisme de la vie musicale parisienne lorsqu’il investit en faveur de la Société immobilière du théâtre des Champs-Élysées. De même, il contribue à la représentation de Salomé en 1907 et offre des meubles de sa propre collection au moment où l’État rachète le château d’Azay-le-Rideau. Fervent philanthrope, Fernand lègue par son testament et grâce à l’action de sa veuve Alice des sommes importantes à des œuvres israélites et institutionnelles telles que le Conservatoire.

 

Un compositeur « fin de siècle »

Admirateur de Richard Wagner, Fernand se rend plusieurs fois à Bayreuth. Il intègre un vaste réseau de musiciens où évolue notamment le pianiste Édouard Risler et fréquente les salons, dont celui de la famille Polignac, où l’on joue certaines de ses compositions. Beaucoup d’entre elles s’inspirent de la poésie parnassienne ou symboliste.

Fernand Halphen compose une centaine de pièces vocales au croisement des influences de Gabriel Fauré, de César Franck et de Claude Debussy, fidèle à cet esprit français « fin de siècle ». Auteur d’une trentaine d’œuvres de musique de chambre où l’on repère son chef-d’œuvre (la Sonate en ut dièse mineur), Fernand a également composé une « féérie lyrique » en un acte qui montre la volonté de renouveler le genre lyrique français. Fidèle à l’Armée et à la République dans le contexte problématique de l’Affaire Dreyfus, Fernand reste discret et évolue dans cette atmosphère préservée des salons mondains.

 

Un chef de musique militaire

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, en août 1914, Fernand devient le chef de musique du 13e régiment d’infanterie territoriale, et ce, jusqu’au 7 janvier 1917. Découvert par le colonel Le Moyne qui cherche à constituer un orchestre, Fernand est trop âgé (42 ans) pour intégrer un bataillon combattant de première ligne. Il rejoint donc l’un des régiments immédiatement situé en arrière-front et qui se charge de divers travaux comme le ravitaillement et le transport. Fernand dirige ainsi un orchestre chargé d’accompagner les cérémonies militaires et d’entretenir le moral des combattants. Il aide à divertir les blessés des hôpitaux militaires et se débrouille pour disposer de suffisamment d’interprètes et d’instruments pour répondre aux demandes de l’état-major. C’est au contact des blessés que Fernand contracte la diphtérie qui l’emporte le 16 mai 1917.

 

Cet ouvrage collectif est exemplaire du bénéfice à croiser les disciplines et à mêler les compétences d’auteurs qui enrichissent leur propre analyse au contact des autres. L’ouvrage dirigé par Laure Schnapper présente tous les outils utiles à la recherche et qui en garantissent la validité scientifique : des doubles pages d’arbres généalogiques, une précieuse chronologie récapitulative, la liste des dédicataires des opus d’Halphen, la mention précise des sources et des archives, une bibliographie, une discographie et l’index des noms. Cet ouvrage interdisciplinaire est un modèle du genre, dans la mesure où il recense toutes les informations utiles à la connaissance d’Halphen tout en livrant des analyses qui situent la pratique musicale et compositionnelle dans un contexte social, culturel, artistique et militaire. La rigueur mise par tous les auteurs de l’ouvrage à aborder le cas Halphen contribue ainsi à une meilleure connaissance des grandes familles israélites françaises du XIXe siècle, à une vision plus précise du rôle de la musique dans le contexte de la Première Guerre mondiale, à un affinement de l’histoire des institutions musicales françaises et des réseaux de musiciens (élèves et professeurs du Conservatoire de Paris). Aux analyses musicologiques qui évaluent l’identité musicale d’Halphen s’ajoutent de nombreuses approches qui situent le musicien dans le champ de l’histoire. Cet heureux et bénéfique franchissement des barrières disciplinaires fait de l’ouvrage de Laure Schnapper une précieuse référence