Au fil des critiques, LRL offre une réflexion sur la qualité de l’écriture et le devenir de la « littérature » actuelle.

De format 14,5 par 22,5 cm, avec une couverture blanche et rouge, La Revue Littéraire rappelle la sobriété nourrie de l’antique NRf avec son exigence de qualité. Le riche numéro 66 offre un grand plaisir de lecture. On y retrouve d’ailleurs des auteurs que publiaient les directeurs de la NRf Jacques Réda, puis Michel Braudeau, au premier rang desquels Paul Gellings et Richard Millet. Ce dernier est ici rédacteur en chef. Il livre entre autres des « notes sur la vérité littéraire » qui commencent par cette interrogation : « N’y a-t-il pas, pour un écrivain, une manière de déchéance à regarder une série télévisée américaine, genre devenu le vecteur privilégié de la sous-culture mondialisée, avec le rock, le roman policier et le cinéma pornographique ? » On ne peut mieux cerner à la fois un sujet de circonstance et franchir le Rubicon.

La réflexion sur l’état de notre littérature est poursuivie par Paul Gellings qui cite en exergue : « Jadis on écrivait un livre et on devenait célèbre. À l’heure actuelle on est célèbre et on écrit un livre. » À partir de ce trait d’un éditeur néerlandais, Paul Gellings montre bien la décadence occidentale à l’œuvre : « un programme de civisme, de frotti-frotta et de sociologie ! » Rejoindrait-il Jean-Michel Delacomptée ? Sa Lettre de consolation à un ami écrivain (Fayard, 2016) fait l’objet d’une chronique intelligente en ce qu’elle rappelle La Boétie et que « le marché est une formidable d’école d’obéissance ». Toujours sur cette ligne d’analyse de la décomposition de la littérature, une autre chronique, signée Julien Teyssandier, agrandit le champ de l’analyse. À partir d’un prétendu roman, loué par la critique borgne, lauré d’un prix Médicis, il nous est donné de voir comment la toute-puissance d’un fait divers, sans quoi on ne publie plus, ruine la fiction, sans parler de la « poétique à peu près aussi ambitieuse que celle d’un procès-verbal ».

 

De la nécessité du « style » et de la tenue

Une critique digne de ce nom, une fois l’ouvrage lu, n’a de sens qu’avec des réserves. L’une de ces chroniques commence alors ainsi : « Lorsque l’on prend la décision d’écrire, la première question qui se pose est celle de la musique que l’on va écouter pendant ce temps. » C’est de l’écriture de charretier : « lorsque l’on, musique que l’on » ; mais surtout faire deux choses à la fois, sauf à se croire Napoléon, même pour écouter de la musique et écrire, accrédite un double massacre. Cette première phrase n’en donne-t-elle pas déjà la preuve ? Une autre, une peccadille ; mais à cette altitude, elle fait tache. Il est vrai qu’elle émane d’un musicien, mais enfin celui-ci parle de « pieds » en poésie. La française ne connaît que des « syllabes ». Dernière cible de cette lecture à bâton raccourci : le nombre de coquilles excédant la dizaine mériterait une relecture de qualité. Ceci bien entendu n’est rien à côté de la valeur générale de la revue, puisque les notes de lecture – plus d’une vingtaine – sont toutes de qualité, ce qui devient rare.

L’une ose épingler, à l’encontre du dernier roman de Laurent Gaudé, « une certaine insuffisance de style qui peine à s’extraire du verbiage journalistique ». Une autre relève ailleurs une contradiction de poids : des savants, tout à leur louable exigence de s’en tenir aux faits, affirment que « la formation de l’univers s’est faite sans plan préconçu ». Malicieux et sans pitié, le critique interroge : « est-ce là un fait ou un dogme initial ? » Un article, encore, assassine avec brio ces pages de journal indigent qu’on publie désormais, dont celles de Pierre Bergounioux, et la louange énamourée que leur misère même suscite. « On peine à s’intéresser aux chaudes-pisses, aux crises de foie, de diarrhée, de prostate ou d’eczéma [de Gombrowicz]. On ne gagne pas plus à épier une femme dans sa salle de bains qu’un écrivain dans ses toilettes [ou] dans les “coulisses” de son œuvre. »

Les trente dernières pages livrent une suite du Journal, année 1992, de Richard Millet, qu’André Blanchard tient pour « le plus grand écrivain français vivant »   . Ces pages débordent de beauté. « Aimer, c’est être amoureux de l’espérance à travers l’illusion charnelle. » Les aphorismes, nombreux, côtoient des confidences noires et blanches. « Nous sommes des êtres en attente, rongés par un désir que nulle femme ne peut apaiser, et nous voulons être consolés par elles, que nous ne savons pas aimer. » Le style Millet laisse loin, loin derrière lui ses détracteurs. L’auteur notait déjà : « les livres n’apportent aucune joie, aucune consolation ». Pourtant, à le lire, on respire. « Chaque pas est une leçon de lumière et d’odeurs. »