SCALP fera office de livre noir de l’histoire texane

 

Hugues Micol revient sur la courte période, de l’Indépendance de l’État à son rattachement aux États-Unis, à travers la dérive meurtrière de John Glanton, inspiré par l’ouvrage de l’un de ses compagnons, Samuel Chamberlain   . A cette fin, il s’affranchit des formes habituelles du récit : les cases ont cédé la place au sens de lecture pour construire les séquences. Cette optique suffit à la compréhension et permet de s’attacher davantage à une composition graphique radicale, très aboutie.

 

La sale besogne

Micol place le destin de son personnage sous le signe de la mort, une parabole en guise d’introduction. Une enfance morbide, des difficultés matérielles alliées à une austérité culturelle (la sainte Bible) fondent le décor du jeune garçon. À 16 ans, le meurtre, sans doute le viol, et surtout le scalp de sa fiancée par deux Indiens, servent à la fois de cause et de justification, peut-être simpliste, aux choix de vie du futur outlaw. Après le désespoir, l’alcool et le vol des quelques rares biens familiaux, c'est la fuite. La revanche au cœur, une espèce de mentor, Robert Gray, lui apprend la « sauvagerie », c’est-à-dire traquer, combattre à mains nues et manier les armes. Le parti-pris artistique s’affiche sans détour lorsqu’une partie de poker est interrompue par l'égorgement de l’adversaire, à l’aide du fameux couteau Jim Bowie   . Une lame traverse la page, et le sang coule.

La guerre d’indépendance du Texas vis-à-vis de la jeune République mexicaine est l’occasion d’exercer ces compétences dans l’intérêt public. Un contexte d'impunité totale, qui annonce le premier fait d’armes, lorsque l’apprenti guerrier tue trois Mexicains en uniforme… puis les scalpe. Le mythe fondateur est né.

L’indépendance obtenue en 1836, Glanton s’emploie au service de « régulateurs » (payeurs) pour nettoyer les frontières du nouvel État. Se dévoile alors la psychologie d’un assassin sans états d’âmes, sans idéologie et sans convoitise, comme en témoigne sa cabane à scalps. Indésirable chez Samuel Houston, la nouvelle autorité, Glanton demeure légitime dans la lutte pour l’indépendance aux yeux de la majeure partie des Texans : « au royaume des p’tites gens, il est le prince noir ». Usant déjà d’argument fallacieux pour étendre leur territoire, les États-Unis invoquent la « destinée manifeste »   . Un vote du Congrès américain (1845) précède l’invasion de la jeune république voisine. La guerre américano-mexicaine (1846-1848) déclenchée, Glanton rejoint la cavalerie texane. Durant la bataille de Monterrey, la légende croît en fonction du nombre de scalps arrachés à l’ennemi.

 

La ruée vers l’horreur

Après le traité de Guadalupe (1848), la découverte d’or en Californie incite l’infréquentable routier à tenter la fortune. En 1849, afin de sécuriser sa frontière nord, l’État de Chihuahua   fait appel à Glanton et ses sbires. Selon Chamberlain, un casting « (…) constitué d’Indiens Cherokee et Delaware, de Canadiens français, de Texans, d’Irlandais, d’un Noir et d’un vrai Comanche » serait payé « 200 $ par scalp de guerrier mâle et 150 pour les femmes et les enfants ». Une première expédition tombe sur un camp apache endormi, et « dans le mépris de la mort et le goût partagé du sang », occis puis scalpe environ 250 personnes. Ici, le sens de lecture supprime l’ellipse, l’absence de décor sublime à la fois le dessin de Micol et le sentiment de terreur.

Le retour à Chihuahua est triomphal. La réception à la mairie célèbre une totale immunité. Une séquence de cases sans contours, entremêlant sexe et alcool, est résumée en une formule : « on a festoyé comme on a tué, avec férocité » ; elle se clôt par une suite de pages tableaux s’achevant sur un Glanton hagard, dénudé, les bottes au pied.

Cette première tuerie découverte, l'image du soudard dessert finalement la jeune république américaine, qui songe alors à le faire arrêter. Dorénavant payée au scalp, la compagnie s’attaque aux Mexicains, obligeant l’État de Chihuahua à cesser sa collaboration. Ces cavaliers de l’apocalypse remontent alors en direction de la Californie.

 

 

La folie douce

Toujours plus à l’ouest, la bande suscite une mortelle aversion à chaque rencontre. Micol aborde le registre freak : une femme à barbe, au fond d'une cantina, provoque un duel à huis clos tarentinesque. Il utilise le registre dynamique, combinant l’ultra-violence à l’anatomie, lorsque les personnages rossés volent comme des pantins. Il n’oublie pas le pendant psychologique et développe un personnage secondaire, le juge Holden : lieutenant principal, « chasseur de scalps » haut de six pieds, à la peau pâle et totalement glabre, instruit en science et en linguistique. Figure historique, Chamberlain l’a décrit comme le tueur le plus impitoyable du groupe et le plus lâche   .

En 1850, au bout de la route, le gang s’attaque à un village Yuma, proche de la rivière Gila. Cette fois, la vengeance des Indiens marque la fin de Glanton. Micol propose une page entière, fantastique, celle d’un cadavre dépiauté.

Micol s’est déjà distingué avec le superbe webdocumentaire consacré à Alma, une jeune guatémaltèque engluée au milieu des Maras, vénéneux gangs d’Amérique centrale. Pour SCALP, la barbarie omniprésente, validée par l’époque, est contrebalancée par des effets spéciaux. Glanton se retrouve souvent affublé d’une tête disproportionnée, à l'image d'un masque de carnaval, qui lui confère un aspect burlesque proche de l’absurde. Proposé au format 24x33, de nombreuses pleines pages expressionnistes atténuent la cruauté du propos par une esthétisation absolue - la marque graphique d’un auteur « mature » - et soulignent l’engagement éditorial devant la monstruosité de ce héros texan