Une anthologie consensuelle de textes classiques et reconnus, destinée à aider les éducateurs dans leur tâche pédagogique. 

Beaucoup y réfèrent comme à une évidence. On parle de la République comme si on savait tout à son sujet. C’est même avec assurance que certains se disent « républicains ». Mais au revers d’un discours ou d’un propos de table, on s’aperçoit que tel ou tel confond République et Démocratie, que tel autre se contente de répéter la leçon latine : res-publica, la chose publique, sans pouvoir donner corps à cette « chose », etc. Et de confusion en confusion, finalement, il s’avère que les textes fondateurs (juridiques, philosophiques, mais aussi politiques), souvent référés, ne sont pas aussi connus qu’on pourrait le croire. Alors ? Pourquoi ne pas se donner la peine de les remettre en circulation, sous forme d’une anthologie ? 

 

La tâche pouvait paraître d’autant plus urgente que les commentaires sur notre actualité, dans les magazines en général, ne cessent de nous reconduire à des « valeurs », et à la République, ou à la nécessité de réaffirmer des valeurs. Et l’on sait combien on a assigné récemment les professeurs à devoir reprendre le flambeau de la morale et du civisme classiques. Vincent Duclert (1961), auquel on a du il y a quelques années un très important Dictionnaire critique de la République, est agrégé d’histoire, enseignant à l’EHESS, chargé de conférences à l’ENA, inspecteur général de l’éducation nationale. Il s’est dévoué à la mission dont nous parlons ici, tentant tout de même d’éviter les pièges à lui tendus par des discours crépusculaires sur ces questions : tout fout le camp, tout est perdu, ... Il a fait le choix de demeurer classique dans ses sélections, tout en respectant le parti pris : défendre la République grâce à des citoyennes et de citoyens informés et engagés. De là le lien entre politique et éducation constamment souligné. 

 

Deux traits orientent ce parti pris. Le premier contribue à asseoir la République sur l'universalité des droits, c'est-à-dire l'assurance que les hommes ne tirent leurs droits d'aucune appartenance ou qualité particulière, mais de leur simple qualité d'être humain : la devise constitutive « liberté, égalité, fraternité » – « valeurs » auxquelles nul ne saurait déroger ; la laïcité, qui proclame la liberté de conscience et permet la liberté religieuse. Le second trait articule la République à quatre objets d’enseignement : la sensibilité (soi et les autres avec les principes, les valeurs et les symboles de la citoyenneté française et de la citoyenneté européenne) ; le droit et la règle (des principes pour vivre avec les autres, avec les différentes déclarations des droits de l'homme) ; le jugement (penser par soi-même et avec les autres, avec les principes de la laïcité et la traduction des principes d'un État démocratique dans les institutions de la République) et l'engagement (agir individuellement et collectivement, avec l'exercice de la citoyenneté dans une démocratie).

 

Ceci fixé, il s’agit bien, dans ce livre, d’offrir avant tout des ressources aux éducateurs et enseignants. Ces dernières sont présentées selon l’ordre suivant, celui du sommaire : 

- La République, un régime de droit et de libertés : Des républiques et des constitutions ; des libertés et des droits fondamentaux ; de l’égalité et de la solidarité ; contre les discriminations et la persécution ; l’invention de la laïcité ; 

- La République, un idéal démocratique, une nation politique : L’éthique de la cité ; le fondement de la justice ; une idée pour la France ; l’engagement de l’homme et du citoyen ;  

- La République, une ambition pour l’école : L’école de la République ; la laïcité à l’école, la laïcité de l’école ; des principes et des professeurs ; le métier d’enseigner ; éduquer à la citoyenneté. 

Chaque chapitre est composé d’extraits de textes majeurs (constitutionnels, juridiques, discours, considérations philosophiques) concernant le thème traité, et sans aucun doute des extraits de textes que l’inspecteur-collecteur aurait aimé voir remis entre les mains des enseignants, aux fins d’une éducation républicaine consensuelle. Les extraits peuvent faire l’objet d’une étude précise. Néanmoins, ils ne sont ni situés, ni introduits, ce qui aurait sans doute à la fois aidé un peu plus les médiateurs futurs, et facilité une première compréhension de textes plus difficiles que d’autres (ou les moins connus). Tout dépend en ce point du lecteur et futur utilisateur ; pourtant pédagogiquement... !   

 

On remarquera toutefois, à propos de cette utilisation, que le plus intéressant est ou sera l’agencement, conçu par les médiateurs, entre plusieurs textes qui peuvent s’accorder ou non sur certains aspects des choses ; au demeurant, des agencements différents selon les optiques et les projets. Ce genre d’anthologie prête évidemment plus à des parcours logiques qu’à une lecture continue. Il est très intéressant de choisir un fil conducteur et d’ajuster quelques textes puisés dans les différentes parties, pour composer un objet d’étude solide à expérimenter avec des élèves. 

 

Cela étant, la lecture linéaire n’est pas exclue. C’est celle que nous avons pratiquée, sans souci pédagogique. Elle a le mérite de procéder à un balayage chronologique – le premier extrait datant de 1598 (Édit de Nantes) et le dernier, sauf erreur, de 2013 (le mariage pour tous) –, à partir duquel il est envisageable de refaire sa propre culture républicaine. Et dans cet ordre, par ailleurs, comment n’être pas sensible aux heurts entre des textes qui se succèdent en se complétant, en se reprenant, en se disputant autour d’une question dont il convient de raffiner les composantes. Ainsi en va-t-il des textes sur la laïcité, dont on voit bien qu’ils ont subi des mutations au fil de la découverte des problèmes ayant émergé. Ainsi en va-t-il non moins des textes portant sur la « question juive », ouverte par un beau texte de l’Abbé Grégoire, dans la première partie, mais complétée bien sûr par les textes d’indignation publiés au XXe siècle destinés à condamner les lois de Vichy, dans une autre partie. 

Pris dans cet ordre, d’ailleurs, l’ouvrage s’ouvre sur la Constitution de 1791, qui porte en elle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et se ferme sur un poème de Jacques Prévert (1951), Étranges Étrangers, qui ne parle pas de faits si éloignés que cela de notre actualité. 

 

Une remarque encore avant de conclure, puisque nous n’allons pas commenter chaque extrait (un peu moins de 200 textes, comptés rapidement). Il faut s’arrêter sur la rhétorique si flagrante de ces extraits de textes qui, lorsqu’ils sont notamment prononcés en public (discours de tribune, discours à l’Assemblée, ....) font l’objet d’un soin littéraire tout particulier que l’on n’a plus l’impression d’entendre trop souvent de nos jours. 

 

Enfin, donc, pour conclure, revenons sur le très manifeste combat pour les valeurs de la République entrepris par l’ouvrage. Cet aspect du livre n’est pas seulement conforté ou induit par les deux adresses préalables de Najat Vallaud-Belkace (préface) et de Mona Ozouf (introduction), dont le rôle est incontournable, l’une étant ministre de l’Éducation et l’autre historienne largement investie dans les questions scolaires, et ceci depuis longtemps. Il est inscrit dans le projet même de cette réalisation. C’est ainsi que d’emblée, le collecteur de ce recueil assigne la République à des valeurs ou des valeurs à la République. Et parmi elles, la première : la transmission, dont pourtant il n’est pas clairement discuté dans l’ouvrage, alors que ce point est bien devenu un enjeu, mais pas nécessairement celui qu’on lui prête (la transmission conçue comme passage causal et linéaire, c’est-à-dire mécanique, d’un individu à un autre ou d’une génération à une autre, est sans doute une prétention intenable, ou du moins évacue-t-elle les hiatus, les détournements, les erreurs, etc.). La République s’inscrit, répète l’auteur, dans le registre des valeurs morales et civiques. Et par « valeurs », il faut entendre que, de nature intellectuelle, les idées républicaines ont une vocation spirituelle ! C’est certainement à partir de là que deux critiques peuvent surgir à l’égard de l’ouvrage : la première insistant sur le peu de doutes et d’interrogations dont font montre les textes choisis, alors qu’on aurait pu mieux faire respirer les textes en leur conférant moins de vertu assignatrice. La seconde en se demandant si finalement, il vaut mieux défendre la démocratie avant la République, ou la République uniquement ? Cette remarque ne portant pas sur une analyse plus fine des textes et auteurs absents d’un tel ouvrage, puisque nous savons tous qu’une telle entreprise est toujours risquée (choix, oublis, contournements, privilèges,...) et que l’auteur, à juste titre, défend ses choix sans complexe. C’est le moins, et sans doute pas le plus important