Une mise en public de quelques connaissances concernant les rapports entre les langues en République française.

En 88 pages, cet opuscule, accessible au plus grand nombre, offre aux lecteurs, mais aussi aux médiateurs culturels et aux enseignants, un condensé des éléments essentiels auxquels rester attentif non seulement en tant que citoyennes et citoyens, mais encore en tant qu’intermédiaires dans des rapports interculturels. Ces derniers sont nécessairement médiés par des rapports linguistiques. Mais ils se produisent aussi, en ce qui concerne la France, dans un pays qui prône, pour des raisons historiques, le monolinguisme, du moins jusqu’à une période récente et sous certaines conditions. En l’occurrence, l’ouvrage a raison de souligner d’emblée que l’apprentissage d’une langue structure en partie nos modes de pensée et notre manière de voir le monde. Cela signifie que les rapports entre les langues, et les rapports entre les personnes par l’intermédiaire des langues, ne sont pas de rapports aisés, non seulement en termes d’apprentissage, mais aussi en termes de contacts et d’échanges citoyens. Cela étant, la situation internationale (migrations), ainsi que l’insistance scolaire sur le plurilinguisme (à défaut du bi- ou multilinguisme), fait qu’il est de plus en plus courant aujourd’hui d’apprendre, de comprendre, de parler plusieurs langues et ainsi de multiplier les relations linguistiques potentielles.

Du point de vue de sa construction, cet ouvrage est rédigé par une sociologue et une professeure de lettres ; il est édité à La Documentation française par le truchement du Musée national de l’immigration, dont on connaît la mission : mettre en valeur et rendre accessibles les éléments relatifs à l’histoire de l’immigration de telle sorte que l’on parvienne à une certaine reconnaissance des parcours migratoires. Il comporte deux parties : l’une sur le plurilinguisme en France, et les apports de l’immigration ; l’autre sur les écrivains en exil (à partir de l’expérience vécue en France). Chaque partie est accompagnée d’une bibliographie construite avec assez de précision pour être utilisable par les lecteurs actifs sur le plan indiqué. Lui est aussi assortie une chronologie des faits d’échange entre les langues sur le territoire (serment de Strasbourg, imposition de la langue française comme langue nationale, problème des langues régionales, puis problèmes des migrations et des prises de parti pour la restriction du monolinguisme), instrument utile pour beaucoup, même s’il ne s’agit que de notifications ; ainsi qu’une sitographie non moins bienvenue.

Après avoir procédé à des rappels conceptuels nécessaires (qu’est-ce qu’une langue ? un monopole linguistique ?, un patois ?), les auteures rendent compte de plusieurs enquêtes faisant état de la question plurilingue en France contemporaine. Ainsi montrent-elles que le plurilinguisme devient une exigence dans les sociétés actuelles, et pas uniquement un fait des déplacements transfrontaliers. Pourtant, insistent-elles, les langues d’immigration, désormais, ne sont pas également valorisées et quelques-unes font même l’objet d’une disqualification sociale. Le modèle d’intégration « à la française » a longtemps prôné un usage exclusif de la langue française – sans parler de la situation historique de la Révolution française – et un abandon progressif des langues d’origine des migrants. Il n’en reste pas moins vrai que la diversité linguistique est devenue une richesse. On pourrait d’ailleurs prolonger ces propos en se demandant notamment pourquoi une « richesse », sinon que le plus souvent on découvre aussi chez les « autres » un poids économique interne et externe favorable, en un mot, une facilité pour le commerce international. Mais on ne doit pas tabler uniquement sur cet aspect économique. Cela étant, les enquêtes montrent aussi que le maintien de leur langue première pour les adultes ayant grandi hors de France est très fréquent et concerne près de neuf personnes sur dix dans l’Hexagone. Dans le foyer, dans les réunions de communauté, dans les échanges réguliers via le téléphone, la langue maternelle et/ou première facilite l’entretien de liens avec celles et ceux qui demeurent dans le pays de départ. Mais elles montrent aussi que le français exerce encore en métropole une domination symbolique très forte et les autres langues ne jouissent pas de la même reconnaissance sociale ni du même prestige dans notre société. Une hiérarchie existe entre les différentes langues. Et ce classement se comprend au regard du nombre d’individus parlant telle ou telle langue, des représentations positives ou négatives de telle langue, de la manière dont la valeur sociale de la langue se rapporte au profil des locuteurs, ainsi que des positions sociales (privilégiées ou non) dont jouissent les parleurs (pour ne pas citer leur image sociale). Le fait de réunir ces données, même succinctement, dans un ouvrage portant sur la migration des et dans les langues, est essentiel.

Tout un pan de l’ouvrage est consacré, très positivement, aux perspectives ouvertes par les écrivains, étrangers ou de langue étrangère, qui choisissent ou non (mais en le disant) d’écrire dans la langue française, et sans doute sa rhétorique particulière. On connaît de tels cas dans de nombreux pays et l’affaire n’est pas purement française. En revanche, les propos rapportés ou les œuvres citées donnent un bel aperçu des problèmes ainsi soulevés, chez nos éditeurs et pour les lect(rices)eurs français. Qu’on le sente ou non de l’extérieur, la langue maternelle, c’est de la chair et du corps. Faut-il alors rester dans cette langue, y compris pour des raisons politiques (on ne peut la céder au dictateur qui vous chasse) ou couper le cordon ombilical, ce qui fait dire, par exemple, à Julia Kristeva : « Il y a du matricide dans l’abandon d’une langue natale », mais ce qui fait dire aussi, a contrario, à Atiq Rahimi : « On ne se marie pas avec sa mère. » La mère couveuse ou la mère mortifère ? Restent de toute manière deux questions à résoudre : comment est-on accueilli dans l’autre langue ? Et qu’est-ce qu’un métissage en écriture ? Sur ce plan, les propositions d’Édouard Glissant sont à peine transcrites, c’est éventuellement dommage, encore sont-elles bien connues. Il est vrai que l’ouvrage prend une autre voie : il s’intéresse pour finir plus fortement à la dimension d’émancipation potentielle contenue dans l’amour des langues, pour autant que celui-ci permette, ainsi que le précise François Cheng, que l’écriture en quelque langue que ce soit renvoie à une qualité artistique. La question de la langue en exil demeure, à cet égard, une véritable expérience de l’altérité