Un ouvrage technique sur le livre numérique, au-delà des polémiques entre le monde de l'édition et les nouvelles technologies qui s'adresse plus aux professionnels qu'au grand public.

On ne compte plus les publications qui s’interrogent sur l’avenir du livre face au déferlement des technologies numériques. Sobrement intitulé Le Livre numérique, l’ouvrage de trois professionnels de l’édition électronique Bernard Prost, Xavier Maurin et Mehdi Lekhal (sans oublier la participation de Tony Anatrella avocat spécialisé dans le droit d’internet et des TIC) se distingue par une  approche délibérément dépassionnée. Il est vrai également que le public visé est plutôt celui des professionnels du livre (éditeurs, auteurs, bibliothécaires, étudiants) que le grand public (l’ouvrage est publié dans la collection "Pratiques éditoriales"). Mais ce dernier peut trouver matière à réflexion dans cette synthèse brève et solidement documentée.

Il peut être utile en effet d’éviter les imprécations, le ton apocalyptique ou les souvenirs émus sur un monde qui serait en voie de disparition, pour s’efforcer au contraire, dans une perspective plus professionnelle que militante, de dresser de façon nuancée un état des lieux et de suivre les évolutions en cours. Soucieux de faire comprendre la diversité et la complexité d’un monde en mouvement encore loin d’avoir trouvé son point d’équilibre, les auteurs définissent l’objet "livre numérique" en rappelant combien le papier lui-même, le livre imprimé, en partie lié avec l’univers numérique (par exemple, dans le processus de fabrication). Ils envisagent ensuite les nouvelles pratiques de lecture en soulignant les difficultés des agents de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, diffuseurs, distributeurs) à mettre en place un nouveau modèle économique alors même que les supports, les standards ne sont pas fixés et vont sans doute encore évoluer au rythme des innovations techniques et de la concurrence économique. Le livre se termine sur un riche chapitre consacré à cette question du livre comme bien d’échange. Le nouveau support créant en effet dans ce domaine une rupture radicale avec l’ancien monde de l’édition, du papier, avec ses contraintes de fabrication, de stockage et de diffusion. Les auteurs n’hésitent cependant pas à mettre en évidence les limites et les contraintes du livre numérique ainsi que les solutions qui se mettent en place. Que deviennent les notes de bas de page ? Qu’est-ce qu’un index dans un livre numérique ? Comment articuler le texte et les illustrations ? Tous les livres se prêtent-ils à ce format ?

L’autre originalité de l’ouvrage est que si, bien entendu, la comparaison avec le livre imprimé reste inévitable, ce dernier n’est jamais érigé en modèle indépassable ou en norme implicite. Les auteurs prennent acte de la réalité  incontestable de la publication et de la lecture numérique et des problèmes spécifiques (aussi bien sur le plan technique qu’économique ou juridique) qu’elles posent. Sous son aspect professionnel et neutre, il prend de fait partie. Car en constatant l’apparition et le développement de nouvelles pratiques d’écriture, d’édition et de lecture, ils banalisent à juste titre le livre numérique et déplacent le débat : il ne s’agit plus de s’interroger sur sa légitimité mais de répondre à des questions précises (et parfois très techniques) sur les standards, les formats de fichiers, les métadonnées, la vente et l’achat de ce nouveau type de produit culturel. Cette volonté de distance et d’objectivation se manifeste également lorsqu’ils décrivent les différents formats de fichiers. Néanmoins, évoquant les luttes commerciales et la prépondérance de certains acteurs sur le marché du livre numérique (notamment Amazon), les auteurs défendent le modèle français du prix unique du livre numérique, seul moyen de sauvegarder l’indépendance des libraires "sur ce marché si particulier".

Utilement complété par un glossaire, l’ouvrage rendra de précieux services aux professionnels du livre désireux de comprendre ce qui en est jeu dans le mouvement d’un support vers l’autre. Mais en raison de cet objectif, l’ouvrage sera de ce fait vite dépassé tant il s’inscrit dans un présent très circonscrit